gouvernementale du port ni les barraquements militaires: ils laissèrent délibérément tomber dix grosses bombes sur le centre même de la ville où, dans la rue principale, les réfugiés épuisés dormaient à même le sol, en telle agglomération qu’une voiture pouvait à peine passer. Après le passage des avions, je pris dans mes bras trois enfants morts, frappés en face du Comité Provincial pour l’Evacuation des Réfugiés, où ils attendaient, en grand nombre, une tasse de lait condensé, un morceau de pain sec, seule nourriture que quelques uns d’entre eux avaient eue depuis plusieurs jours. La rue n’était plus qu’un lit de morts et de mourants, éclairés par la seule lueur orange des maisons en flammes. Dans l’obscurité, les gémissements des enfants blessés, les cris des femmes agonisantes, les imprécations des hommes s’élevaient en un seul hurlement, sans cesse croissant, arrivant à une intensité insoutenable. On se sentait tomber, devenu aussi lourd que la mort elle-même, mais dans le cerveau brûlait la flamme de la haine. Cette nuit là, cinquante civils furent mitraillés par les avions, et cinquante autres blessés. Deux soldats furent tués. Quel était le crime qu’avaient commis ces civils sans armes pour être ainsi massacrés de façon sanglante? Leur seul crime était d’avoir voté pour l’élection d’un gouvernement du peuple, d’avoir voulu le plus modéré des soulagements au fardeau de siècles de capitalisme. La question a été posée: pourquoi ne sont-ils pas restés à Malaga, attendant l’entrée des fascistes? C’est qu’ils savaient ce qui les attendait. Ils savaient ce qui arriverait aux hommes, aux femmes, ce qui était arrivé tant de fois dans des villes capturées. Tout homme, de 15 à 60 ans, ne pouvant prouver qu’il avait été obligé par force à aider le gouvernement, serait fusillé immédiatement. Et c’est de savoir cela qui a concentré les deux tiers de la population entière de l’Es- pagne sur une seule moitié du territoire: celle qui appartient à la République. Dr. NORMAN BETHUNE