● Une vie au service des arts et de la culture canadienne-française Marie-Joséphine Emma Morrier (née Gravel) naît le 19 mars 1872 à Ottawa de l’union de Louis Gravel (1845-1925) et Marie-Louise-Emma Pruneau (1851-1881). Après des études au Couvent Notre-Dame-du-Sacré-Coeur (mieux connu sous le nom de « couvent de la rue Rideau »)1 à Ottawa (Le Droit, 24 avril 1935, p. 5), Emma Gravel épouse en premières noces l’artiste montréalais Arthur Arcand (15 avril 1863 - 28 août 1905)2. Enlumineur, peintre et calligraphe, Arcand affectionne particulièrement les sujets historiques. On lui doit notamment l’enluminure “Un grand tableau historique” réalisée pour le cinquantenaire de la Société de la Saint-Jean Baptiste en 1884 (Karel, p. 15). Par ailleurs, Arcand était attaché au Secrétariat d’État à Ottawa (Morcos et coll., p. 228). C’est à l’occasion d’un voyage à Paris avec son époux désireux de se perfectionner dans son art, qu’Emma rencontre une “artiste de talent” et s’initie à son tour à la peinture (Le Petit journal, 25 janvier 1948, p. 28). Emma ne cessera sa vie durant de poursuivre son intérêt pour la peinture. Artiste multidisciplinaire, Emma possède également une formation en musique. Un article du Patriote de l’Ouest rapporte que “Madame Morrier est une “graduée du Conservatoire de Chicago” (Le Patriote de l’Ouest, 14 novembre 1928, p. 1). Selon un autre article (“La carrière d’Emma Morrier”), Emma aurait étudié la musique avec Mme Forbes-Brégnac et la peinture avec Louise Maréchal lors d’un séjour à Paris, ce que semble confirmer un entretien que donne Emma au Droit (Le Droit, 18 avril 1935, p. 6). Arthur Arcand meurt le 28 août 1905 à Ottawa. Emma est alors âgée de 33 ans. En 1908, Emma épouse en secondes noces Joseph-Eldège Morrier (29 août 1874 - 12 avril 1940) qui a marqué de son empreinte la francophonie de l’Ouest. Arpenteur de métier 3, Joseph brigue la présidence de l’Association catholique franco-canadienne (ACFC) de la Saskatchewan en 1914 (à la tête de laquelle il effectuera trois mandats) avant d’être nommé, un an plus tard, président de la Bonne presse (société qui assure financement du journal Patriote de l’Ouest), puis administrateur du Patriote jusqu’en 1928. Il est également membre du Conseil de l’inspection publique (La Survivance, 17 avril 1940, p. 3; Le Devoir, 22 avril 1940, p. 1). Le 11 mars 1925, Joseph-Eldège est fait commandeur de l’ordre de Saint Grégoire Le Grand par le pape Pie XI. En 1928, il est nommé Officier de l’instruction publique par le gouvernement français. Suite au déménagement du couple à Edmonton en 1933, Joseph Eldège devient l’administrateur du journal La Survivance jusqu’à son décès des suites d’une maladie cardiaque le 12 avril 1940. Emma et Joseph-Eldège ont un fils, Joseph-Roland (“Ron”) Morrier (1914-1981) qui naît à Prince Albert. Chanteur soprano dans sa jeunesse (et amateur de sports), Roland accompagne à l’occasion sa mère (La Survivance, 26 février 1936, p. 1). Titulaire d’un BA de l’Université de l’Alberta, “Ron” connaît une certaine notoriété en tant que producteur et animateur bilingue d’émissions de radio et de 1 Une des particularités du Couvent est de mettre l’accent sur l’enseignement des arts en plus des matières scolaires traditionnelles. Les sœurs grises n’hésitent pas à faire appel à des artistes comme Gustave Smith et Robert Tassé dans le domaine musical pour renforcer l’enseignement artistique (Sylvestre, p. 22). C’est peut-être cet environnement éducatif unique qui explique l’intérêt d’Emma pour les arts. 2 Il s’agit très vraisemblablement d’un second mariage pour Arcand qui avait épousé Graziella Fortin (1826-1938) en 1884 et avec qui il avait eu un fils prénommé Adrien. 3 Pour plus d'informations sur la carrière d’arpenteur de J-E Morrier, veuillez consulter https://www.slsa.sk.ca/biographies/036.php télévision4. Pendant plus de vingt ans (1960-81), il animera notamment la célèbre émission de télévision All-Star Wrestling sur BCTV Vancouver (Newton, p. 91)5. La toponymie de Prince-Albert porte à jamais l’empreinte d’Emma, puisque Joseph-Eldège a donné le prénom de sa bien-aimée à un lac situé à 35 kilomètres au nord de Prince-Albert. À ce propos, Roger Motut rapporte que Joseph-Eldège lui a confié “avoir donné des noms à certains lacs au nord de Prince Albert, dont Emma Lac, ou mieux le lac Emma, nommé après son épouse” (Motut, p. 17). Au nord du Lac Emma se trouve une autre étendue d’eau baptisée “Blanche lake” selon toute vraisemblance par Joseph-Eldège lui-même alors chargé de l’arpentage de la région (correspondance avec Carol Léonard en date du 26 août 2020). Il n’est pas impossible que le nom de ce lac ait inspiré le titre du roman-feuilleton “Squaw blanche” composé par Emma à la fin de sa vie. Emma décède le 18 avril 1951 à Montréal à l’âge de 79 ans. ● Prince Albert et l’engagement par la musique Pour des raisons professionnelles6, Joseph-Eldège et son épouse quittent Ottawa pour la ville de Prince Albert en Saskatchewan où ils prendront une part active à la vie sociale et culturelle de la communauté francophone locale. Sous le pseudonyme de Madrina, Emma contribue régulièrement à la rubrique “En famille” du journal Le Patriote de l’Ouest entre août 1918 et septembre 1925. Dotée d’une solide formation musicale, elle prend la tête d’un groupe d’artistes amateurs au sein de la paroisse francophone du Sacré-Cœur de Prince Albert. Comptant des membres de l’élite locale, ce groupe organise diverses manifestations en français, dont des concerts, des tableaux et des pièces de théâtre dans la salle de la cathédrale (Lavigne, p. 63). Emma prend également les rênes de la chorale de la Cathédrale du Sacré-Cœur (Le Patriote de l’Ouest, 14 novembre 1928, p. 1) qui, sous sa direction, remporte le trophée provincial du festival de musique le 27 mai 1925 à Battleford7 (Le Patriote de l’Ouest, 3 juin 1925, p. 8). De nombreux articles du Patriote de l’Ouest rendent compte des performances musicales, tant individuelles que collectives, d’Emma que ce soit à l’occasion d’une réception donnée en l’honneur du représentant du Comité permanent de la langue française (Le Patriote de l’Ouest, 26 juin 1913, p. 1), d’une séance de commission des dames organisée par l’Association Catholique Franco-Canadienne (Le Patriote de l’Ouest, 25 juin 1914, p. 4) ou bien de la grand-messe pontificale de la Semaine sainte (Le Patriote de l’Ouest, 16 avril 1919, p. 8). Les activités artistiques d’Emma débordent le cadre géographique de la paroisse et reflètent ses nombreux engagements : elle prend part à l’organisation d’une soirée de vaudeville présentée au théâtre Empress au profit des soldats 4 Roland Morrier sera notamment annonceur bilingue pour la station CFRN qui diffusait sur ses ondes l’émission “Ici l’on parle français”. 5 Pour plus de détails, sur la carrière de ‘Ron” Morrier, nous renvoyons le lecteur au site https://vanasitwas.wordpress.com/2020/05/31/analog-craigs-list-1967/ 6 Le départ est probablement motivé par des raisons professionnelles. En 1911, Joseph-Eldège devient partenaire de la firme Montgomery and Morrier, Surveyors and Engineers située à Prince Albert (https://www.slsa.sk.ca/biographies/036.php). Le roman-feuilleton autobiographique “La squaw blanche” confirme cette hypothèse : on y apprend notamment que Guy (qui est vraisemblablement Joseph-Eldège) avait choisi d’entrer en société avec Montgomery (dont le nom est conservé dans le roman) afin de faire face “boom” économique lié aux opportunités de spéculation foncière sur la vente des homesteads. 7 La chorale comptait alors 60 membres. Des concerts avaient été organisés par la chorale pour collecter les 600$ nécessaires au déplacement de la chorale à Battleford (Le Patriote de l’Ouest, 8 avril 1925, p. 7). belges au front (Le Patriote de l’Ouest, 4 janvier 1917, p .8) et donne un concert aux pensionnaires d’un pénitencier (Le Patriote de l’Ouest, 6 juin 1923, p. 4). En plus de ses nombreuses activités, Emma enseigne la musique et le chant. À cet égard, un article du Patriote de l’Ouest mentionne que dans le cadre du grand Festival de musique de la Saskatchewan, cinq de ses élèves ont été admises “à l’audition finale, dont trois de la classe professionnelle” (Le Patriote de l’Ouest, 30 mai 1923, p. 1). Fait notable, Emma prend part en compagnie de son époux au 28e Congrès eucharistique de Chicago durant l’été 1926 (Le Patriote de l’Ouest, 23 juin 1926, p. 4). Emma est également active dans le domaine de la peinture comme en témoigne le tableau ci-dessous réalisé durant ses années à Prince-Albert : Sans titre (Dancing nymphs), vers 1920, aquarelle sur papier, 16 x 10 pouces, don de la Prince Albert Historical Society en 2013, MannArt Gallery, Prince Albert. En octobre 1928, les Morrier quittent Prince Albert pour Montréal où Joseph-Eldège doit s’occuper de gérer les affaires de son frère malade (Le Patriote de l’Ouest, 14 novembre 1928, p. 1)8. L’édition du 14 novembre 1928 du Patriote de l’Ouest annonce le départ des Morrier. Signe de leur statut au sein de la communauté francophone de Prince-Albert, le portrait de Joseph-Eldège ainsi que celui d’Emma à qui le journal rend hommage, figurent sur la première page du journal. ● Edmonton et l’engagement par le théâtre Après une parenthèse de quatre années à Montréal, les Morrier sont de retour dans l’Ouest canadien, mais cette fois à Edmonton dans la province de l’Alberta. Précédés par leur réputation, ils n’ont aucun mal à se faire une place au sein de l’élite franco-albertaine. Fort de son expérience à la barre du Patriote de l’Ouest, Joseph-Eldège devient l’administrateur de La Survivance. Quant à Emma, elle 8 Dans un entretien accordé au Devoir, Emma explique que son départ vers Montréal avait pour but de permettre à son fils “d’étudier son français et d’être digne de ses origines raciales” (Le Devoir, 18 avril 1935, p. 6). s’occupe de la rubrique féminine du journal, signant la chronique de la section “Le Royaume de l’Intérieur” sous son ancien pseudonyme de “Madrina”. Durant ses quatre années (1934-38) à la barre de la rubrique féminine, Emma aborde une variété de sujets au nombre desquels les arts, le patriotisme, l’éducation, le rôle des femmes et la religion. Cela étant, c’est sur la scène théâtrale qu’Emma connaît ses plus grands succès en signant la pièce Bon sang ne meurt dont la trajectoire remarquable mérite que l’on s’y attarde9. En effet, la pièce fait partie des œuvres sélectionnées pour le huitième Festival dramatique de la province qui se tient à Calgary le 8 février 1935. Comme le précise la lettre d’acceptation du comité de sélection publiée sur la première page de l’édition du 21 novembre 1934 de La Survivance, “This will be our sixth dramatic festival, and this is the first time a play in French has been received” (p. 1). Dans le même article, l’on fait appel à la générosité des lecteurs afin de contribuer aux frais de déplacement des acteurs du cercle dramatique de Saint-Joachim qui interpréteront la pièce. Même les Dames de Saint-Joachim apportent leur contribution à l’effort collectif en organisant un “thé d’argent” (Plus d’un siècle sur scène, p. 72). Sur les onze pièces sélectionnées au festival dramatique pour représenter l’Alberta dans le cadre du Festival, c’est Bon sang ne meurt pas qui l’emporte. Le jury apprécie en particulier le naturel des acteurs et leur diction. Il s’agit d’une victoire historique pour les francophones de l’Alberta dont La Survivance ne manque pas de se faire l’écho10. Comme le note Vivien Bosley, le succès de la pièce d’Emma est d’autant plus surprenant que la majorité des troupes en lice avaient opté pour des œuvres du répertoire, à savoir Pygmalion de George Bernard Shaw et Pirandello (Bosley, p. 69). Dans une chronique enthousiaste, Jacques Sauriol interprète cette victoire comme l’ “[...] un des nombreux indices qui montrent l’essor de plus en plus large de notre langue dans la vie nationale du Canada” (La Survivance, 13 février 1935, p. 3). Sur la même page, le journal publie des extraits de journaux anglophones, dont le Calgary Albertan, qui rapportent avec plus ou moins d’enthousiasme cette victoire historique d’une pièce en français. L’on y trouve notamment les commentaires de l’évaluateur anglophone, Malcolm Morley, sur la pièce : “I have selected the French play for first place at this festival for the splendidly balanced performance of the cast. There were lots of things wrong with the play, but there were very little things, and with more attention to detail, and more rehearsal, this should be a very beautiful performance. I commend it for competition at Ottawa” (p. 3) Sélectionnée pour la troisième édition du Dominion festival d’Ottawa compte tenu de sa victoire au concours provincial, Bon sang ne meurt pas fait l’objet d’une couverture médiatique dans la presse canadienne-française. À nouveau, les francophones sont appelés à contribuer : le journal lance une souscription pour couvrir les frais de déplacement de la troupe (La Survivance, 6 mars 1935, p. 1; La Survivance, 13 mars 1935, p. 4). Fait remarquable, le Gouvernement de l’Alberta participe également en accordant la somme de 200$ au Cercle Dramatique (Godbout et coll., p. 57) en dépit des difficultés financières que connaît la province. Le Droit publie un entretien avec Emma ainsi qu’avec deux des acteurs du Cercle dramatique, Alphonse Hervieux (directeur du Cercle) et Jeanne-Juneau Tremblay. L’on y apprend notamment que c’est Emma elle-même qui a peint les tableaux qui servent au décor de la pièce afin de “[...] créer une atmosphère de l’Alberta” (Le Droit, 18 avril 1935, p. 6). La pièce se 9 Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage Plus d’un siècle sur scène. Histoire du théâtre francophone en Alberta de 1887 à 2008 (2012) pour récit plus détaillé de la trajectoire dramaturgique d’Emma et de sa pièce Bon sang ne meurt pas. 10 La victoire est d’autant plus appréciable que l’évaluateur est un acteur et dramaturge britannique. trouve également mentionnée dans un court article de l’édition du 23 avril 1935 du Devoir. Le fait qu’une pièce française représente l’Alberta au concours du Dominion est loin de laisser indifférent. De l’avis du président du comité du Festival, Vincent Massey, la présence d’une troupe francophone de l’Ouest11 met à l’honneur la dualité officielle de langues et de cultures au Canada (Le Droit, 23 avril 1935, p. 12). Pour d’autres membres du jury comme le juge Albert Constantineau, la pièce témoigne de l’incroyable vitalité culturelle des communautés francophones en contexte minoritaire (Le Droit, 24 avril 1935, p. 5). La pièce est présentée le soir du 23 avril 1935 au Little Theatre d’Ottawa avec dans les rôles-titres Alphonse Hervieux (André de Boisfleury), Mme Hervieux (Marie-Alice de Boisfleury), Gabrielle Hervieux (Paulette de Boisfleury) et Jeanne-Juneau Tremblay (Suzanne). Une des particularités de la pièce est que les trois acteurs qui incarnent les membres de la famille de Boisfleury à la scène forment également une famille dans la vie. La compétition compte quinze troupes de langue anglaise (dont dix de l’Ontario) et trois de langue française (Godbout et coll., p. 76). Malgré l’effervescence entourant Bon sang ne meurt pas, la pièce ne remporte pas la faveur des membres du jury. Bien que ceux-ci apprécient la “sincérité” du message véhiculé par la pièce12, ils regrettent le manque d’expérience des acteurs, l’uniformité dans les personnages et la tristesse du propos (Le Droit, 24 avril 1935, p. 2). Il n’empêche, la pièce suscite l’intérêt d’autres communautés francophones : la ville d’Edmundston se propose d’accueillir la pièce (Le Droit, 24 avril 1935, p. 1). Une réception est organisée le 26 avril par le juge Albert Constantineau en l’honneur d’Emma et des acteurs du Cercle dramatique (Le Droit, 26 avril 1935, p. 9). Forte du succès de Bon sang ne meurt pas est publiée en 1934 avec le soutien de La Survivance, Emma signe plusieurs autres pièces. À peine quelques mois après le sacre de Bon sang ne meurt pas, deux pièces inédites d’Emma intitulées “L’Inspiration”13 et “Va ton chemin” sont présentées par le Cercle dramatique de Saint-Joachim. Joseph-Eldège tient même un rôle dans la première (La Survivance, 13 novembre 1935, p.1). Notons que “Va ton chemin” reçoit une mention honorable au concours littéraire Carnegie (La Survivance, 13 mars 1935, p. 1). Les pièces d’Emma qui font l’apologie des valeurs traditionnelles (catholicisme, ruralité, patriotisme, préservation du français, etc.), connaissent un franc succès, circulant aussi bien en Alberta que dans d’autres provinces canadiennes. Dans son édition du 3 juin 1936, La Survivance annonce la publication des trois pièces d’Emma auxquelles s’ajoute une quatrième inédite - La trahison - sous le titre Quatre essais de théâtre national. L’ouvrage est auréolé du succès de Bon sang ne ment pas et présenté par La Survivance comme faisant la promotion du catholicisme et du patriotisme. Parallèlement à ses activités théâtrales, Emma est également active sur le plan musical. Elle enseigne le chant (Le Droit, 18 avril 1935, p. 6), en plus de prendre régulièrement part à des performances musicales (La Survivance, 26 février 1936, p. 1). Elle organise même un concert français mensuel sous l’égide de l’Association Canadienne-Française de l’Alberta sur les ondes de CFRN (La Survivance, 6 février 1935, p. 5). En plus du théâtre et de la musique, Emma continue de se consacrer à la peinture. Dès son arrivée à Edmonton, elle présente des œuvres à l’hôtel McDonald (La 11 Lors de l’édition précédente du festival, c’était le Cercle Molière qui avait remporté les honneurs de la section française. 12 Fonds Durocher, DURO.PE148.PE-109.2, Morrier, Emma, University of Alberta archives. 13 Il s’agit en fait de la pièce parue dans les Quatre essais de théâtre national sous le titre Le rêve du poète. Survivance, 11 avril 1934, p. 8). En marge du gala du Dominion à Ottawa, Emma expose au Caveau14 des paysages albertains qu’elle a peints comme décor de la pièce Bon sang ne ment pas (Le Droit, 24 avril 1935, p. 5). C’est surtout lors de ces dernières passées à Montréal qu’Emma donnera libre cours à cette autre de ses passions. Suite au décès de son époux le 20 avril 1940, Emma, dont la présence se fait remarquer à quelques événements communautaires (La Survivance, 5 novembre 1941, p. 2; 19 mai 1943, p. 8; 27 octobre 1943, p. 5; 16 février 1944, p. 5), semble moins prolifique sur le plan artistique. Ses années de deuil sont marquées par plusieurs déplacements. En août 1941, Emma et Roland déménagent dans l’Annamoe Mansion dans le quartier Oliver. Suite au départ de ce dernier pour Winnipeg où il est embauché par la Société Radio Canada, Emma lui rend occasionnellement visite (La Survivance, 7 juin 1944, p. 5). C’est peut-être à cette occasion qu’elle séjourne à Prince Albert où la communauté lui réserve un accueil chaleureux (La Liberté et le patriote, 19 mai 1944, p. 6). ● Montréal et l’engagement par la peinture Emma passe les dernières années de sa vie à Montréal où elle consacre une bonne partie de son temps à la peinture. Elle réside au 11 avenue Hazelwood dans le quartier d’Outremont (La Presse, 20 avril 1951, p. 6) et possède un studio situé Chemin Bellingham (Le Petit journal, 25 janvier 1948, p. 28), aujourd’hui Avenue Vincent-d’Indy. En décembre 1947, elle expose, dans le hall de l’école des Arts et Métiers sur la rue Saint-Denis, des peintures à l’huile de la vallée de la Gatineau et un paysage de Banff ainsi que des aquarelles dont une vue de la station de Matapédia au Québec. 14 Fondé en 1932, Le Caveau organisait des événements culturels et artistiques en français. Photo de “Ironside”, vallée de la Gatineau, par Emma Morrier (Photo-journal, 4 décembre 1947, p. 30) La toile intitulée “Le Déraciné” qui représente un arbre dont les racines émergent du sol, fait visiblement forte impression sur l’auteur de la critique du Photo-journal qui rapporte l’interprétation “moraliste” d’Emma : “C’est l’image de l’homme qui abandonne ses responsabilités et coupe ses liens avec le monde où il est né. Comme l’arbre, c’est un déraciné. Il n’est plus bon à rien, même pas à faire du feu (Photo-journal, 4 décembre 1947, p. 30). Fonds DURO.148.PE110.3, Morrier, Emma. “Le Déraciné”, University of Alberta archives Emma expose également un tableau au Independant Art à Victoria Hall (La Presse, 1er décembre 1948, p. 6). Quelques mois plus tard, elle présente 19 peintures à l’huile et 21 aquarelles à la librairie Tranquille15 (Le Devoir, 7 avril 1949, p. 5). À l’occasion du vernissage, une réception est organisée qui compte quelques invités prestigieux, dont Jean Maurice Laporte et Donatien Frémont qui signera la préface de La Squaw blanche (La Presse, 12 avril 1949, p. 5). Les critiques sont mitigées : il est reproché à Emma de vouloir “entasser trop de choses sur la même toile”, mais on loue “son don de lumière” (Le Devoir, 28 avril 1949, p. 5). Le 30 juillet 1949, des tableaux d’Emma sont présentés dans le cadre d’une rétrospective qui comprend les œuvres de onze peintres et un sculpteur aux styles très différents (Le Devoir, 30 juillet 1949, p. 6). Bien que le critique de La Presse déplore le “manque de technique” d’Emma, il reconnaît non sans condescendance à son tableau “Hameçons au repos” un “charme naïf" (La Presse, 13 août 1949, p. 48). Mettant à profit la technique de la spatule ainsi que la peinture à l’huile et l’aquarelle (Le Petit journal, 25 janvier 1948, p. 4), Emma affectionne en particulier les paysages canadiens (Gaspésie, Québec, Rocheuses). Dans un article que lui consacre Fleurette Bélair, Emma - qui est alors âgée de 76 ans - explique la recette de son bonheur et de sa longévité dans les termes suivants : “Je ne m’ennuie jamais [...] J’ai ma peinture, mes livres et le chant. Surtout, je fais tout mon possible pour rendre les autres heureux. Je crois que pour connaître le bonheur, même quand on est seule dans la vie, il faut savoir s’oublier soi-même, oublier ses maux et ses soucis.” (Le Petit journal, 25 janvier 1948, p. 4). 15 Fondée par le très libéral Henri Tranquille le 8 mai 1948, la librairie Tranquille est un lieu d’exposition d’œuvres d’auteurs montréalais connus et moins connus. Elle doit sa notoriété au fait d’être un lieu de rassemblement de l’avant-garde littéraire et artistique. Photo de “Hameçons au repos”, La Presse, 13 août 1949, p. 48. Parallèlement à ses activités artistiques, Emma trouve le temps de composer le roman-feuilleton La Squaw blanche qui sera publié d’abord dans la page féminine du Droit, puis dans La Survivance à partir du 17 mai 1950. Entre autobiographie et récit de fiction, La Squaw blanche narre le périple de Madrina alors qu’elle accompagne son mari arpenteur lors d’un de ses périples dans l’Ouest canadien. Emma décède le 16 avril 1951 à Montréal à l’âge de 79 ans et est inhumée à Ottawa, sa ville de naissance. Son décès est annoncé en première page de La Survivance (18 avril 1951, p. 1), ainsi que simultanément dans Le Devoir (20 avril 1951, p. 5) et La Presse (20 avril 1951, p. 6). ● La postérité d’Emma Ce n’est pas avant le début des années 1980 que l’œuvre d’Emma connaît un regain d’intérêt. Suite à la publication dans le Franco-Albertain d’une série d’articles d’Evelyne Foëx-Olsen sur les écrivains franco-albertains, Laurier Gareau, lui-même homme de théâtre, intervient dans la rubrique “Le lecteur a la parole” pour signaler l’omission de l’œuvre d’Emma Morrier (Le Franco-Albertain, 1er février 1980, p. 2). Laurier Gareau connaissait bien l’œuvre d’Emma pour lui avoir consacré une dissertation 16 (“term paper”) lors de ses études de théâtre à l’Université de l’Alberta17. Cette première mise au point est suivie quelques semaines plus tard par un texte de B-J Tremblay dans la même rubrique, qui rappelle les nombreuses réalisations artistiques et musicales d’Emma, n’hésitant pas à en faire une “féministe” (Le Franco-albertain, 29 février 1980, p. 2) de la première heure. B-J Tremblay n’est autre que la fille de Jeanne Juneau Tremblay qui avait interprété le rôle de Suzanne dans la pièce Bon sang ne meurt pas et avec qui Emma s’était liée d’amitié (Le Franco-albertain, 29 février 1980, p. 2). Le 28 avril 1982, Le Franco-albertain publie un article de Laurier Gareau sur la vie et l’œuvre d’Emma composé à l’occasion du 47e anniversaire de la représentation de Bon sang ne meurt pas au festival de théâtre du Dominion. Selon l’auteur, le succès de la pièce d’Emma a joué un rôle capital dans la promotion et le développement du théâtre franco-albertain (Le Franco-albertain, 28 avril 1982, p.11). Depuis ces vingt dernières années, le nom d’Emma Morrier se retrouve dans plusieurs anthologies d’histoire de littérature et de théâtre canadiens-français et québécois. La bibliographie de la littérature outaouaise et franco-ontarienne (1981) de René Dionne recense ses pièces, de même que l’Inventaire des écrivains du Québec par années de naissance avec leur bibliographie (1999) d’Yvan Mornard. L’ouvrage Les théâtres québécois et canadiens-français au XXe siècle (2003) mentionne la victoire de Bon sang ne meurt pas au festival de théâtre provincial de Calgary (200). Il en est de même de Plus d’un siècle sur scène. L’Histoire du théâtre francophone en Alberta de 1887 à 2008 qui revient en détail sur le succès de Bon sang ne meurt pas (p. 71-77). Enfin, Le Dictionnaire des artistes et des auteurs francophones de l’Ouest dirigé par Gamila Morcos lui consacre une entrée bien documentée qui a le mérite d’évoquer également le pan musical et pictural de son œuvre. Au vu de ses différentes études, il semble qu’Emma ait été associée à divers espaces littéraires (québécois, ontarien, albertain) et que la dimension intermédiatique de son œuvre soit passée au second plan. Parmi les rares études consacrées à Emma Morrier, l’on peut citer celle de Vivien Bosley qui compare le propos conservateur de l’auteure de Bon sang ne meurt pas et la perspective progressiste d’une autre dramaturge albertaine contemporaine d’Emma, Elsie Park Gowan. Loin d’être confiné aux milieux littéraires et académiques, le nom d’Emma est aujourd’hui également connu du grand public. Les articles parus dans des journaux communautaires comme Le Franco-albertain et L’eau vive ont certainement contribué à la faire connaître de la communauté francophone dans son ensemble; de même que l’entrée que lui consacre le musée virtuel francophone 16 Cette étude a le mérite de procéder à une analyse à la fois contextuelle et thématique des pièces d’Emma Morrier. 17 Fonds DURO.148 PE-110.4, Morrier, Emma. DRAM 403 Term paper “Emma Morrier. Quatre essais de Theatre National”, Laurier Gareau, University of Alberta archives. de la Saskatchewan. Une médiathèque francophone située au sein de la Cité des Prairies de Lethbridge porte aujourd’hui son nom. Bibliographie ● Ressources académiques Beauchamp, Hélène et Gilbert David (dir.) (2004). Théâtres québécois et canadiens-français au XXe siècle. Trajectoire et territoires, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2004. Bosley, Vivien (1993). « Festival, “francophonie et femmes de théâtre” ». 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