nuits, se cachant le jour derrière les collines pour échapper à la poursuite des avions fascistes, marchant la nuit, entraînés par le flot compact, mêlé, hommes, femmes, enfants, mules chèvres. On entendait les gens, dans l’obscurité hurler l’appel du nom de membres de leur famille perdus dans la foule. Comment pouvions-nous choisir, prendre plutôt un enfant mourant de dyssenterie qu’une mère nous surveillant en silence, avec ses grands yeux enfoncés dans les orbites, portant sur sa poitrine nue l’enfant qu’elle avait mis au monde sur la route deux jours auparavant? Elle n’avait arrêté sa marche que pendant dix heures! Ici encore, cette femme de soixante ans, incapable de faire un pas de plus, avec ses gigantesques jambes enflées dont les ulcères variqueux ouverts laissaient couler le sang sur ses sandales de toile. Beaucoup de vieilles gens renonçaient, simplement, s’éten— daient sur les côtés de la route et attendaient la mort. Nous décidâmes d’abord de ne prendre que les mères et les enfants. Mais la séparation du père et des enfants, du mari et de la femme, devint un spectacle d’une cruauté insoutenable. Nous finîmes par transporter ensemble les familles ayant le plus grand nombre d’en— fants, ou les enfants isolés, dont il y avait des centaines. Nous trans- portâmes trente à quarante personnes par voyage pendant les trois jours et trois nuits suivants, les conduisant à Almeria, à l’Hopital du Secours Rouge International où ils recevaient des soins médicaux, de la nourriture et des vêtements. L’infatiguable dévouement de Hazen Sise et de Thomas Worsley, conducteurs du camion, sauva bien des vies. A tour de rôle ils faisaient la navette, jour et nuit, dormant sur la route, sans autre nourriture que du pain et des oranges. Et voici maintenant la barbarie finale : non contents de bombarder et de mitrailler cette procession de paysans sans armes sur cette longue route, dans la soirée du 12 Février, alors que le petit port d’Almeria était bondé de réfugiés, alors que quarante mille êtres épuisés avaient atteint ce qu’ils croyaient être un hâvre de sécurité, nous fûmes intensément bombardés par les avions fascistes allemands et italiens. La sirène d’alarme sonna trente secondes avant la chute de la première bombe. Les avions ne tentèrent pas d’atteindre la flotte