Montréal, le samedi 13 janvier 2014 À la Commission Royale d'étude sur l'avenir des bibliothèques et des archives au Canada Chère Commission, Permettez-moi d'abord de vous remercier pour cette opportunité de réflexion et d’écoute offerte à l'ensemble de la population quant aux importantes institutions que sont les bibliothèques et les archives. C'est avec grand plaisir que je vous partage avec vous mes observations à titre de citoyenne, d'utilisatrice des bibliothèques et de bibliothécaire. Depuis 2005, j'ai travaillé à divers moments comme commis, comme bibliothécaire, comme coordonnatrice de stage en bibliothéconomie et comme chargée de projets dans des milieux publics, universitaires et communautaires. Mes commentaires ne couvriront pas l'ensemble des réalités vécues en sciences de l'information au Canada, bien sûr, mais j’espère que mes observations pourront participer à construire le portrait des enjeux auxquels nous faisons face. La Commission s'intéresse à un éventail de questions. D'une part, nous portons notre attention sur les services, dans une perspective d'état des lieux et pour bien en comprendre les attentes. Une autre question importante concerne les changements vécus : c'est ce qui motive, à la base, la tenue de cette commission. On dénote l'importante des technologies, l'importance d'identifier ce qui sera nécessaire en termes de ressources, de structures et de compétences et les éléments clefs liés à l'intégration de l'espace physique et numérique. Finalement, vous entendrez une multiciplicité de voix lors de cette commission : nos communautés sont construites dans la diversité et la polysémie. Plusieurs voix se positionneront pour assurer un bel avenir aux bibliothèques, J'aimerais, ici, répondre à toutes ces invitations de cette importante discussion. Tous ces éléments seront clefs pour le succès et la vitalité du milieu des sciences de l'information au Canada. Commençons par nous remémorer l'importance des bibliothèques. Les bibliothèques et les archives sont des lieux ouverts à toutes et à tous, sans discrimination. Comme le souligne l'UNESCO dans son manifeste pour les bibliothèques publiquesi, elles forment une « force vive au service de l'éducation, de la culture et de l'information » et permet l'apprentissage tout au long de la vie de façon créative, sécuritaire et communautaire. Ce rappel de la mission des bibliothèques est primordial selon moi, car peu importe les avancées technologiques ou les changements auxquels nous ferons face, cette mission sera toujours en essence la même et au cœur de nos priorités. Peu importe les moyens déployés, ceux-ci doivent répondre à ces objectifs de service à la communauté pour lui permettre d’exploiter son plein potentiel. Ce que cela signifie pour nous, c’est d’avoir cette perspective comme un phare, une lumière avec laquelle se diriger dans les marées de changements propres à notre époque. Toujours seront au cœur de notre mission le service aux citoyens et citoyennes, le devoir de mémoire et l'accès aux ressources. La pertinence même des milieux documentaires est remise en doute par plusieurs, surtout lorsqu'il faut retirer du budget et qu'on méconnaît les bibliothèques. Il en résulte que plusieurs services ou offres d'activité sont annulés, quand ce ne sont pas les centres qui ferment complètement. Souvent, rien n'est en place pour assurer une minimisation des effets secondaires de ces pertes. Sommes-nous plus qu'un dépôt? Oui, nous sommes bien plus qu'un dépôt, et il faut défendre les missions des milieux documentaires et les faire connaître. Mission sociale, citoyenne, égalitaire, communautaire : tout ça sera toujours pertinent pour nous et les générations futures. J'en viens à ce que j'identifie comme l’enjeu principal : il faut stimuler et dynamiser les milieux documentaires afin de les renforcer et de les faire connaître à l'ensemble de la population sous une lumière invitante et enrichissante. Bien sûr, plusieurs milieux ont déjà entrepris cette démarche, et avec des résultats fort enviables! Je pense à l'impact qu'a eu Bibliothèque et Archives nationales du Québec avec l’ouverture de la Grande Bibliothèque à Montréal : un engouement pour la population et une utilisation assidue et quantativement imprévue des services de référence. Des études manquent pour évaluer les répercussions sur les autres bibliothèques, mais l'augmentation de nouvelles constructions de bibliothèques – de Montréal à la Malbaie - nous laisse entrevoir que la population n'attend que notre écoute pour s'investir dans ces projets. Nous avons plusieurs succès : il faut maintenir cette lancée, nous adapter aux besoins de nos communautés et y répondre avec savoir, savoir-faire et savoir-être. Comment dynamiser nos milieux? D'abord avec l'écoute et l'évaluation : il faut évaluer les besoins et les meilleures façons d'y répondre. Cela impliquera des innovations et des perles en recherche de budget. La valeur de l’évaluation semble de plus en plus reconnue dans divers milieux : une mesure que nous ne pouvons que saluer. Pour être vraiment à l’écoute des populations, il faut les sonder, les interroger, communiquer avec elles sur une base régulière et ouverte. L’accueil de ces précieuses données permettra aux milieux documentaires d’être toujours pertinents et en bonne relation avec ses usagers. Nous pouvons déjà percevoir des besoins quant aux services à offrir. Avec le vieillissement de la population, plusieurs personnes auront plus de temps à consacrer à leurs loisirs, à des activités de généalogie et pour profiter des bibliothèques comme lieux physiques, puis de services à distance lorsque leur mobilité sera réduite. De plus en plus de concitoyens viennent en bibliothèques pour avoir accès à Internet ou pour obtenir de l’aide avec des tablettes, des ordinateurs et de téléphones intelligents. Avec l’accès plus facile au numérique, les milieux documentaires gagneraient à être des endroits plus séduisants afin de favoriser l’affluence au lieu physique. (Alors que plusieurs bibliothèques deviennent des joyaux d’architecture, certaines n’ont pas maintenu les lieux de manière optimale.) Les collections sont importantes pour les milieux documentaires : un financement accru sera nécessaire pour les maintenir en bon état et les garder à jour malgré l’augmentation des coûts des documents, des bases de données et des autres ressources. Plusieurs changements affectent les services : une évaluation locale permettra à chaque bibliothèque de bien s’ajuster. Il serait intéressant que les milieux documentaires partagent les résultats de leurs évaluations et leurs plans d’action avec leurs communautés. Ce sont des institutions publiques importantes, partager leurs plans de réussite avec les populations desservies permettraient de tisser une meilleure communication avec ces partenaires. Les bibliothèques ont aussi besoin de revoir leurs relations publiques plus globalement. Combien d’entre nous savons que nous sommes bienvenues dans des centres d’archives, même sans rendez-vous? Si le chou frisé (kale) peut séduire, imaginez l’impact que nous pouvons avoir! Les rôles de liaison et de médiation gagneraient à être valorisés. Une force des milieux documentaires est bien sûr son personnel. Je considère qu'on le sousestime trop souvent. Combien de commis ont des baccalauréats, des maîtrises? Un changement qui nous affecte est la difficulté des marchés, de se trouver un emploi. De plus en plus d'employés en bibliothèques seront surqualifiés. Nous gagnerions à utiliser et à favoriser les compétences et les forces de nos équipes autant que possible. Même lorsque ces compétences ne sont pas directement en lien avec les sciences de l'information, elles font partie de la force d'une équipe. Il faudra outiller le personnel des milieux documentaires pour embrasser les défis et l'adaptation par la formation continue et l'écoute de ce même personnel. Nous oublions trop souvent de consulter les employées des milieux documentaires : ils et elles ont une connaissance intime et quotidienne des fonctionnements, des procédures, des usagers, des enjeux et des défis. Chaque défi rencontré peut être l'opportunité d'un changement favorable. Une autre force à développer sera non seulement notre compétence à gérer les changements, mais à réagir diplomatiquement aux capacités de résilience de nos clientèles. La santé mentale des Canadiennes et Canadiens est de plus en plus soumise à l'anxiété, au stress et à la dépression. Les employé(e)s de première ligne doivent gérer des situations qu'on ne voyait pas en bibliothèques il y a vingt ou trente ans. La santé de l'équipe est primordiale, une attention renouvelée devra lui être accordée. Il y a un instant, nous nous remémorions la mission des bibliothèques : ce n'est pas sans importance. L'arrivée du numérique semble avoir apporté des questionnements quant à la pertinence, à la raison d'être des milieux documentaires. Tout n'est-il pas accessible au bout des doigts, grâce à des moteurs de recherche privés? Combien de fois entendons-nous parler de la fin des bibliothèques, de la profession même? Il est vrai que de multiples changements, souvent de nature numérique, ont bouleversé nos savoir-faire et notre savoir. Encore et toujours, les milieux documentaires sont bien plus que des dépôts. Nos rôles de médiation, de jugement, d’évaluation, de formation, de collection sont toujours les mêmes. Les modalités changent, l’accès aux donnés est plus ouvert et plus démocratique, mais toujours les professionnelles de l’information seront des guides et des facilitatrices. Les milieux documentaires ont toujours été plus que des dépôts, et les professionnelles de l’information ont toujours été – et seront toujours – plus que des gardiennes. Nous soutenons le développement de la littératie, des compétences essentielles, de l’adaptation de tous et de toutes aux nouvelles technologies pour l’ensemble de la société : nous adoucissons la fracture numérique. Les bibliothèques restent un lieu communautaire favorisant l’intégration et l’accès aux informations, aux loisirs et à l’éducation. Les milieux documentaires, en soi, peuvent être des vecteurs physiques vers le monde numérique. Les fermetures massives de bibliothèques, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada laisse croire que la mission des bibliothèques n'a pas rejoint ou touché son public. J’espère que cette Commission permettra de confirmer l'importance déterminante des milieux documentaires pour influencer des enjeux cruciaux de société. Selon moi, les milieux documentaires gagneraient à être revitalisés par du financement visant à répondre à des besoins énoncés par les communautés et par une campagne de relation publique sans précédent, réaffirmant notre mission et notre valeur. Les milieux documentaires ont une pertinence intrinsèque. Les nouveautés technologiques doivent être nos alliées pour offrir de meilleurs services à nos communautés. Ce sont des outils, des outils très puissants, mais nous sommes des humains, avec une mission, du contenu et de l’affect, communicant avec des pairs. Cette valeur ne peut pas être remplacée dans le désir de construire des communautés solides. Éthel Gamache Bibliothécaire ethel.gamache@concordia.ca i UNESCO, Manifeste de l'UNESCO sur la bibliothèque publique, www.unesco.org/webworld/libraries/manifestos/libraman_fr.html