Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives présenté par l'AEEEBSI à la Société royale du Canada dans le cadre des consultations sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives. Association des étudiantes et étudiants de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal Adopté en assemblée générale le 16 janvier 2014 Table des matières Introduction ___________________________________________________________ 3 La formation et le rôle social des professionnels de l'information ________________ 6 Enjeux du numérique __________________________________________________ 14 Perspectives des bibliothèques : le troisième lieu _____________________________ 20 Conclusion ___________________________________________________________ 23 Rappel des recommandations ____________________________________________ 25 Sources consultées et citées ______________________________________________ 27 Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 2 Introduction L’AEEEBSI est l’Association des étudiantes et étudiants de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Elle représente présentement plus de 500 membres étudiants, issus des différents programmes de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information : certificat en archivistique, certificat en gestion de l’information numérique, maîtrise en sciences de l’information et doctorat en sciences de l’information. Elle représente ainsi autant des étudiants destinés aux centres d’archives, aux bibliothèques publiques, aux bibliothèques scolaires, collégiales ou universitaires, aux bibliothèques spécialisées ou à la recherche et à l’enseignement. « L’association étudiante veille à étudier, promouvoir, protéger et développer les intérêts matériels, culturels, académiques et sociaux de ses membres et de faire à cet effet les représentations jugées nécessaires. Elle veille à répondre aux besoins collectifs et individuels de ses membres et à les informer de tout ce qui peut les toucher directement ou indirectement. » (AEEEBSI 2014a) Ayant pris connaissance des consultations menées par la Société royale du Canada sur l’avenir des bibliothèques et des centres d’archives, nous avons jugé nécessaire de nous pencher sur la question, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en tant que représentants des étudiants, nous croyons être bien placés pour discuter de la formation offerte aux futurs professionnels de l’information. Ensuite, en tant que futurs professionnels nous-mêmes, nous avons dû, tout au long de notre parcours de formation, nous interroger sur l’avenir de notre domaine. Nous pouvons ainsi apporter différents éléments de réflexion sur la question de l’avenir des bibliothèques et des centres d’archives. Avec l’importance grandissante d’Internet et le développement constant de nouveaux formats électroniques et de nouveaux supports permettant de stocker l’information, le travail dans les bibliothèques et les centres d’archives est appelé à évoluer. De nombreuses questions ont été soulevées par l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux : comment indexer des pages web ? comment conserver des documents électroniques de manière pérenne ? devrions-nous conserver des Tweets ? Certains ont même remis en Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 3 question la pertinence des bibliothèques dans un monde où le livre se dématérialise pour devenir numérique et où une quantité importante d’information se trouve en ligne. Toutefois, nous sommes d’avis que les bibliothèques et les centres d’archives sont aujourd’hui plus importants que jamais. En effet, le numérique apporte son lot d’avantages. Toutefois, il crée également certaines inégalités, ce que nous appelons la fracture numérique. Apparu aux États-Unis à la fin des années 1990, ce terme «désigne les écarts ou le fossé se creusant entre ceux qui ont accès aux technologies de l’information et des communications et ceux qui n’y ont pas accès. (...) La fracture numérique sépare aussi ceux qui maîtrisent les outils et ceux qui ne savent pas s’en servir.» (Jean-Michel Salaün et Clément Arsenault (sous la direction de), p.177) Ainsi, l'expertise des professionnels de l’information est indispensable en ce qui à trait à l’offre de la formation à la maîtrise de l’information, particulièrement dans un monde où la quantité d’information est de plus en plus grande et les sources même d'information se diversifient et se multiplient rapidement. Les centres d’archives et les bibliothèques doivent également permettre de réduire le fossé numérique en offrant aux usagers des ressources qu’ils n’ont pas nécessairement. Notons finalement qu’il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de l’alphabétisation des populations. En effet, une étude menée en 2000 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Statistique Canada sur la littératie des adultes concluait qu’une partie importante des adultes, même au sein des pays développés, n’avaient pas les compétences nécessaires pour fonctionner dans le contexte actuel : «même les sociétés les plus économiquement avancées sont donc déficitaires au chapitre des compétences en littératie. Entre le quart et les trois quarts des adultes n’arrivent pas à atteindre au moins le niveau 3, qui dénote, selon les spécialistes, une compétence minimale pour composer avec les exigences de la vie et du travail d’aujourd’hui». (OCDE/Statistique Canada 2000, xiii In Jean-Michel Salaün et Clément Arsenault (sous la direction de), p. 179) Il est ainsi impossible de nier l’importance des bibliothèques, qui jouent un rôle important dans l’alphabétisation des populations. Forts de l’idée que les bibliothèques et les centres d’archives demeurent indispensables dans un monde où le numérique prend de plus en plus de place, nous nous sommes penchés sur les sujets qui nous interpellaient le plus en tant qu’étudiants et futurs Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 4 professionnels de l’information. Dans les prochaines pages, nous nous prononcerons sur la formation des futurs professionnels de l’information, sur le monde du numérique dans les bibliothèques et les centres d’archives pour finalement nous pencher sur les perspectives des bibliothèques en tant que troisième lieu. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 5 La formation et le rôle social des professionnels de l'information Dans un contexte où le monde des sciences de l'information est en changement constant, il est nécessaire d'adapter la formation des prochains spécialistes de l'information. Les étudiants de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information de l'Université de Montréal ont pu bénéficier autant de cours traditionnels (catalogage et classification, gestion des documents et des collections, etc.) que de cours issus de disciplines connexes (informatique et gestion, par exemple). Ainsi, nous croyons qu'une formation complète en sciences de l'information doit faire appel à de nombreuses disciplines et doit prendre en considération les changements qui ont présentement lieu au sein de la société de l'information. Une formation complète en sciences de l’information ne peut pas aujourd’hui éviter la question du numérique. Que ce soit au niveau de la conservation de documents numériques ou au niveau de l'offre de documents numériques aux différentes clientèles des archives ou des bibliothèques, il est nécessaire pour les programmes universitaires d’aborder ces différents sujets. En plus des livres numériques et des bases de données de périodiques présentement offerts dans les bibliothèques québécoises, de nombreux autres types de bibliothèques numériques voient le jour. Par exemple, l'offre de films ou de musique en ligne prend de plus en plus d'importance dans les bibliothèques publiques. Un exemple de ce service est Hoopla, un service qui rend disponibles aux usagers de certaines bibliothèques canadiennes et américaines des films, des séries télévisées, des documentaires et de la musique. (Hoopla 2014) Bien que la question des bases de données et des livres numériques soit prépondérante au sein de nos formations, certains types de bibliothèques numériques sont parfois mis de côté et gagneraient à être inclus dans les curriculums. Ainsi, plusieurs universités ont ajouté au cursus de la maîtrise en sciences de l'information des cours sur les bibliothèques numériques. Par exemple, l'Université de Western Ontario offre le cours «Digital Libraries», tout comme l'Université de la Colombie-Britannique qui offre un cours au même libellé. (Faculty of Information & Media Studies. University of Western Ontario 2014 ; School of Library, Archival & Information Studies. University of British Columbia. 2014) Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 6 En plus des nouveaux modes de diffusion de l'information, les milieux documentaires se préoccupent de plus en plus des différents types de clientèles : les adolescents, les nouveaux arrivants, les personnes en alphabétisation, etc. Lors d’un colloque tenu en 2007 sur l’avenir des bibliothèques publiques, les participants avaient noté plusieurs préoccupations, dont celle de « Bien desservir et d’adapter aux multiples clientèles famille, enfants, adolescents, communautés culturelles - et aux non-usagers, et pour y parvenir, chercher à mieux les connaître et à documenter leurs besoins, notamment par des statistiques régionales, locales ou de quartier. » (Réseau BIBLIO du Québec et Bibliothèques publiques du Québec, p.29) Selon les cas, les besoins en information sont différents. Les futurs spécialistes de l'information doivent apprendre à développer des collections et des services qui répondent à ces besoins. La formation axée sur les besoins des adultes et des enfants existe depuis de nombreuses années, mais peu de cours sont offerts afin de cerner ce qu'il est possible de faire pour les autres clientèles. Nous saluons les initiatives des Universités de Western Ontario et de la Colombie-Britannique qui offrent des cours sur les services à développer pour les jeunes adultes : «Literature and Other Material for Young Adults», «Services for Young Adults», «Young Adult Materials», etc. (Faculty of Information & Media Studies. University of Western Ontario 2014 ; School of Library, Archival & Information Studies. University of British Columbia. 2014) De la même manière, il semble aujourd’hui nécessaire de développer des cours traitant des services pour les nouveaux arrivants ou les analphabètes. Selon nous, la formation universitaire doit non seulement favoriser la réflexion des futurs bibliothécaires sur les enjeux et défis relatifs aux besoins d’information de ces populations, mais aussi stimuler les recherches des futurs chercheurs. Recommandation 1 : Que les programmes de cycles supérieurs en bibliothéconomie et sciences de l'information offrent des cours sur les nouveaux médias et les nouveaux publics. Les bibliothécaires et archivistes font face à d’autres enjeux, plus fondamentaux: nos professions sont méconnues, et le public ignore souvent la simple existence des services que nous offrons. En plus des notions transdisciplinaires de gestion et d’informatique qui Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 7 font déjà partie du cursus, il est essentiel d’aborder les questions de communication et de marketing: afin d’aider un usager, il faut premièrement être en contact avec ce dernier. Le besoin même pour la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec de bâtir une campagne de promotion1 (Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec 2013b) pour faire connaître la profession est un symptôme de ces lacunes. Nos capacités s’étendent largement plus loin que la vision populaire de notre profession, qui se résume souvent à placer livres et documents sur des tablettes. Cette vision est commune même au sein des écoles, comme le montre ce témoignage du bibliothécaire scolaire Olivier Ménard: « (enseignants et directions d’école compris) ne connaissent pas le métier de bibliothécaire et encore moins l’utilité de notre rôle pour la réussite des élèves. Le principal défi, comme dans plusieurs autres milieux, je suppose, réside dans la promotion de nos compétences et de notre expertise. » (Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec 2013a) Sans de meilleures habiletés de communication, nous risquons l’obsolescence pour la profession et, surtout, d’échouer à soutenir pleinement nos clientèles. De nombreuses universités ont déjà compris cette nécessité et offrent des cours en marketing ou en communication (notamment sur les médias sociaux). Par exemple, l'Université de Western Ontario offre des cours se nommant «Marketing and public relations for information professionals» ou «Publishing, media and librarianship» (Faculty of Information & Media Studies. University of Western Ontario 2014). Une vision plus large du rôle de la bibliothèque, en tant que troisième lieu, nous amène par ailleurs à souligner l’importance pour les gestionnaires de bibliothèque de s’impliquer dans les projets de construction ou de réaménagement de bibliothèques. La majorité des professionnels n'auront jamais bénéficié d'une formation en architecture ou en design d'intérieur afin de mener ces projets à bien. Ainsi, nous saluons l'Université de la Colombie-Britannique qui offre un cours de design de bibliothèques, « Planning and Design of Libraries» (School of Library, Archival & Information Studies. University of British Columbia. 2014). 1 La campagne de promotion se trouve sur le site web savoir.ca. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 8 Le rôle de la bibliothèque et des professionnels de l’information est en constante évolution. On ne peut se préparer à toutes les éventualités; toutefois, une formation qui mise sur l’interdisciplinarité garantirait la flexibilité qui permettra aux futurs professionnels de répondre aux défis qu’ils rencontreront. Notre objectif, à travers la recommandation 2, n’est pas d’offrir une formation complète dans tous les domaines potentiellement connexes aux sciences de l’information. Il s’agit plutôt de fournir les outils nécessaires pour éliminer les formations bâties en silos : des programmes construits de manière interdisciplinaire permettront aux futurs diplômés de mieux coordonner leurs efforts et leurs visions avec tous les intervenants du milieu. Recommandation 2 : Que les programmes de cycles supérieurs en bibliothéconomie et sciences de l'information soient construits de manière interdisciplinaire, en incluant notamment des cours en gestion, en informatique, en communication et en design. Toutefois, il est impossible d’approfondir nos connaissances dans tous les domaines en deux ans. C’est pourquoi nous pensons que les professionnels de l’information devraient pouvoir profiter d’une formation continue, que ce soit au sein des écoles de bibliothéconomie et des sciences de l’information ou au sein des associations professionnelles, afin de répondre aux besoins et aux intérêts des professionnels présents et futurs. Cela pourrait se faire sous plusieurs formules, tout en étant encouragées, dans le cas où elles existent déjà. Au Québec, la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec offre déjà un programme de formation continue qui s’adresse aux professionnels. (Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec 2014) D’autres institutions fonctionnent par la tenue d’ateliers : par exemple, l’école de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université d’Alberta offre des cours d’un crédit aux étudiants et aux professionnels afin de perfectionner leurs compétences dans certains domaines. Ces cours sont offerts pendant une fin de semaine complète, du vendredi au dimanche (School of Library and Information Studies. Faculty of Education. University of Alberta 2014). Enfin, bien que la majorité des cursus offrent plusieurs cours de gestion, une spécialisation dans ce domaine pourrait être nécessaire pour un spécialiste de l’information qui obtient un poste de gestionnaire quelques années après sa sortie de l’Université. Bien sûr, des écoles de gestion existent, mais elles ne sont Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 9 pas spécialisées dans la gestion des bibliothèques et des centres d’archives. Au Québec, les universités offrent des Diplômes d’études supérieures spécialisées (D.E.S.S.). Il s’agit de diplômes s’adressant aux professionnels d’un domaine, leur permettant d’acquérir des compétences supplémentaires dans un diplôme totalisant 30 crédits. (Université de Montréal 2014) Il pourrait être intéressant de développer un D.E.S.S. en gestion des services d’information, pour répondre aux besoins des professionnels qui se retrouvent gestionnaires sans expérience préalable en gestion. Recommandation 3 : Que la formation continue en bibliothéconomie et sciences de l’information soit encouragée, que ce soit au sein des universités ou des associations professionnelles. Recommandation 4 : Que la création d’un D.E.S.S. en gestion de services d’information pour les étudiants ayant un diplôme de cycles supérieurs en sciences de l'information ou ayant une expérience équivalente dans le milieu des services documentaires soit envisagée dans les universités canadiennes offrant un parcours en sciences de l’information. De même, la formation archivistique québécoise présente certaines lacunes. Ces lacunes risquent d’avoir un impact sur l’avenir des centres d’archives, puisqu’elles concernent la formation des futurs archivistes. Comme le souligne Daniel Ducharme dans son billet publié le 4 novembre 2013 sur son blogue "Daniel Ducharme, archiviste (Record and Archives manager)", il existe une confusion au niveau de la formation archivistique au Québec et des possibilités d’emploi octroyées par ces formations. Plusieurs institutions offrent des formations pouvant se regrouper sous le giron de la discipline archivistique (Daniel Ducharme 2013) :  Des cégeps offrent un programme de techniques en documentation (3 ans à temps plein) permettant de travailler en tant que technicien en documentation. Ce programme porte tant sur l’archivistique que la bibliothéconomie.  Des universités offrent également des formations en archivistique au niveau du premier cycle sous la forme du certificat (30 crédits) ou de microprogramme (15 crédits). Il s’agit d’universités comme l’UQAM, l’UQAC, l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université McGill. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 10  Enfin, il existe trois universités qui offrent un programme de deuxième cycle (48 crédits) que l’on peut associer à la discipline archivistique : l’Université de Montréal, l’Université McGill et l’Université Laval. Ces trois universités ont chacun des programmes distincts avec des approches uniques. Ces trois niveaux de formations offrent tous une base permettant d’occuper le métier d’archiviste ou de gestionnaire de l’information. Or, les perspectives d’emplois et les attentes du marché sont souvent diffuses par rapport à la formation offerte. Il existe une incohérence au niveau des titres des postes, ce qui rend difficile de cerner les qualifications requises pour occuper ces emplois. L’intitulé des postes porte souvent à confusion. Répertoriés par Daniel Ducharme, on y retrouve des titres tel qu’analyste, commis, conseiller, responsable, spécialiste, technicien, auxquels se rajoutent des expressions : gestion documentaire, gestion des documents et des archives, gestion de l’information, gestion informationnelle, etc. (Ibid) Hélas, les qualifications requises pour ces postes ne sont pas fixes non plus. Si la distinction entre les archivistes professionnels et archivistes-techniques et les tâches de ces professionnels sont généralement reconnues, notamment par l’Association des Archivistes du Québec (AAQ), les exigences pour faire partie de ces catégories varient énormément. Pour être archiviste professionnel, il est généralement accepté d’avoir une maîtrise ou un certificat jumelé à un baccalauréat. Quant au statut de technicien en archivistique, le diplôme en techniques de documentation est généralement perçu comme suffisant. Cependant, il n’est pas rare que des techniciens aient seulement un certificat. Cette situation nous permet de nous poser quelques questions. Comment expliquer qu’un individu avec un certificat peut soit être professionnel ou technicien selon la possession d’un baccalauréat? Est-ce que ces offres de formation favorisent la diversité ou alimentent-elles la confusion sur le parcours à suivre pour ceux qui voudraient entreprendre une carrière en archivistique? La situation de la formation archivistique est confuse. Cette confusion au niveau des titres et des compétences nécessaires pour les occuper peut être un problème pour l’avenir des centres d’archives. Derrière chaque centre d’archives, on retrouve du personnel qualifié possédant une formation. Or, comment s’assurer que les postes sont occupés par les Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 11 individus possédant une formation adéquate malgré cette confusion au niveau des postes et des compétences requises ? Est-ce que ce flou professionnel dissuade plusieurs individus de s’engager dans la profession ? Il serait souhaitable qu’il y ait une discussion entre les différents acteurs du milieu archivistique (institutions de formation, employeurs, associations et regroupements) sur les compétences, responsabilités et titres des emplois reliés aux archives et à la gestion documentaire afin de résoudre cette situation. Il serait ainsi possible de créer un consensus sur les faiblesses des programmes de formation et d’ouvrir la discussion sur les solutions possibles, que ce soit au niveau de programmes de formation continue ou même de la création d'un baccalauréat en archivistique. Recommandation 5 : Qu'une discussion entre les acteurs du milieu archivistique québécois soit organisée pour cerner les lacunes de la formation en archivistique et offrir des solutions réalistes. Ces recommandations sur la formation des futurs professionnels des sciences de l’information vont de pair avec l’importance pour ces derniers de développer une identité professionnelle dès le début de leur formation universitaire. Dans une méta-analyse d’articles consacrés au développement de l’identité professionnelle, Trede, Macklin et Bridges (2012) estiment que trois étapes caractérisent ce processus. Le futur professionnel développe d’abord des compétences pertinentes, acquiert des connaissances et se familiarise avec les valeurs fondamentales de son groupe professionnel. Ensuite, par l’adhésion à ces valeurs et par de premières actions concrètes, le futur professionnel comprend mieux sa position unique. Enfin, le futur professionnel se reconnaît et s’affiche comme tel en intégrant ces valeurs dans son identité personnelle. L’identité professionnelle devient donc une forme d’idéal professionnel, dont les valeurs guideront l’adoption des conduites professionnelles (Larouche et Legault 2003). Le rôle social du professionnel de l’information nous paraît ainsi incontournable. Une analyse de 37 codes d’éthique d’associations professionnelles du domaine des sciences de l’information a permis d’identifier que les valeurs et principes qui guident l’action professionnelle peuvent se classer en cinq groupes: 1) la priorisation des besoins des usagers; 2) la compréhension du rôle du professionnel de l’information et son Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 12 engagement à le remplir; 3) l’appui à la profession et aux associations professionnelles; 4) l’ouverture et la réceptivité aux responsabilités sociales de la profession, dans la mesure où elles ne nuisent pas aux actes professionnels, et enfin, 5) la connaissance et la défense des droits des usagers, des employeurs, des professionnels, de la communauté et de la société au sens large (Koehler et Pemberton 2000). En conséquence, nous estimons que le milieu universitaire, par sa valorisation du développement de la connaissance, doit être un lieu fertile au développement de l’identité professionnelle des bibliothécaires et archivistes en maintenant des standards d’évaluation élevés et en favorisant l’engagement de leurs étudiants dans l’apprentissage de leur profession et des valeurs qui la sous-tendent. Nous estimons que les écoles spécialisées et les départements veillant à la formation des professionnels de l’information doivent eux-mêmes endosser les valeurs propres à leur profession et favoriser l’embauche d’enseignants en mesure de démontrer, par leur enseignement, leur niveau élevé d’engagement dans la profession. Lors de précédents débats, l’AEEEBSI avait consulté ses membres afin d’établir ce que sont, selon eux, les valeurs primordiales des professionnels de l’information. Nous rappelons ici la position issue de ces discussions : Que l’AEEEBSI affirme ce qu’elle considère comme étant les valeurs cardinales des professionnel-le-s de l’information, des bibliothécaires et des archivistes : assurer le droit fondamental à la liberté intellectuelle, faciliter l’accès à toutes formes et à tous moyens d’expression du savoir, garantir le droit d’expression, garantir le droit à l’anonymat, s’opposer à toutes tentatives visant à limiter le droit à l’information et à la libre expression de la pensée.(AEEEBSI 2014b) En ce sens, nous croyons que le parcours universitaire des futurs professionnels de l’information devrait leur permettre de développer les valeurs ci-haut mentionnées. Recommandation 6 : Que la formation universitaire des futurs professionnels de l’information encourage le développement de valeurs communes, soit d’assurer le droit fondamental à la liberté intellectuelle, faciliter l’accès à toutes formes et à tous moyens d’expression du savoir, garantir le droit d’expression, garantir le droit à l’anonymat, s’opposer à toutes tentatives visant à limiter le droit à l’information et à la libre expression de la pensée. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 13 Enjeux du numérique Au cours des dernières années, Internet et les ressources numériques ont pris de plus en plus d’importance au sein de la société. Le contenu numérique est plus facilement accessible à distance et il devient ainsi plus aisé d’avoir rapidement accès à l’information recherchée à l’aide des ressources numériques. La diversité des ressources disponibles à distance permet donc d’offrir à tous un accès à un large éventail de bases de données comme on peut le constater en jetant un oeil aux ressources numériques offertes par Bibliothèques et archives nationales du Québec (BAnQ). En 2012, le nombre de bases de données de la BAnQ était de 229, alors que le nombre de publications en série électroniques était établi à 31 462 documents. De même, le nombre de visites virtuelles démontrent bien l’importance que prend aujourd’hui le monde virtuel dans nos vies : 5 516 407 visites virtuelles contre 2 539 493 visites en personne. (Ministère de la Culture et des Communications du Québec et Bibliothèque et Archives nationales du Québec 2012) L’accessibilité à ces ressources est sans aucun doute utile à plusieurs usagers, qui peuvent consulter des bases de données généalogiques, des statistiques, des encyclopédies, des livres et des périodiques du confort de leur foyer. Malheureusement, ce ne sont pas tous les citoyens canadiens qui ont les moyens de se procurer les technologies nécessaires à la consultation des différentes ressources numériques. L'Enquête canadienne sur l'utilisation d'Internet révèle bien une augmentation de l'utilisation d'Internet dans les ménages, mais elle permet aussi de constater que près de 20 % des Canadiens n'y ont toujours pas accès de leur domicile (Statistique Canada 2013). La problématique est d'ailleurs plus importante dans les régions plus éloignées, alors que ce sont ces régions qui gagneraient à utiliser les ressources électroniques accessibles à distance, vu leur territoire très étendu. La fracture numérique est donc encore bien présente en Amérique du Nord, où certaines régions sont même privées de services d'Internet. L’implantation de services numériques ne doit pas se faire à tout prix, au risque d’exclure des populations vulnérables et d’institutionnaliser la fracture numérique. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 14 Recommandation 7 : Que l’acquisition de ressources numériques ne se fasse pas au détriment des populations n’ayant pas accès à Internet. L’arrivée du numérique, perçue par certains comme la fin des bibliothèques, suppose pourtant un renouveau pour ces institutions. Tout d’abord, les professionnels de l’information deviennent des personnes indispensables pour aider les gens à se retrouver parmi la surabondance d’information. À ce jour, Internet compte 1.64 milliard de pages. (WorldWideWebSize 2014) En 2009, lors d’un sondage mené par Léger Marketing pour la Table de concertation des bibliothèques québécoises, 69 % des répondants affirmaient utiliser Internet comme source d’information principale. (Table de concertation des bibliothèques québécoises et Léger Marketing 2009, p. 85) Ce pourcentage grimpait à 79 % chez les répondants qui ne fréquentaient pas les bibliothèques. (Ibid) Rien n’indique toutefois que les répondants trouvaient l’information recherchée, voire que cette information était pertinente. Les bibliothèques ont donc un rôle nécessaire auprès de la population, que ce soit afin de leur indiquer les meilleures méthodes de recherche sur internet ou simplement pour leur apprendre à évaluer leurs sources. De plus, les bibliothèques doivent mettre de l’avant leurs ressources, souvent méconnues. Fort est à parier que les usagers de la BAnQ ignorent l’existence de l’une ou de plusieurs bases de données offertes par cette institution, bases de données qui pourraient leur être beaucoup plus utiles qu’Internet dans nombre de situations. À l’heure actuelle, les ressources numériques se multiplient alors que les institutions ne sont pas en mesure de fournir une formation continue à leurs employés qui leur permettrait de bien connaître chacune des ressources pour ensuite les faire valoir auprès des usagers et ainsi les conseiller convenablement dans leurs recherches. Les usagers ont donc accès à distance à une mine de ressources, mais comme ils n’arrivent pas à s’y retrouver, ils abandonnent souvent leurs recherches et se tournent vers des moteurs de recherche ou des sources moins fiables, mais où l’information est plus facile à trouver. Il est impossible de nier qu’il est encore nécessaire aux usagers des bibliothèques d’être en contact avec un visage humain qui sait se retrouver aisément dans la mare d’information mise à leur disposition. De même, il est indispensable que les professionnels de l’information connaissent les différentes ressources offertes par leurs employeurs et puissent utiliser efficacement leurs Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 15 interfaces de recherche. Les différents fournisseurs de bases de données devraient ainsi offrir de la formation aux professionnels de l’information. Recommandation 8 : Que l’accès à des ressources électroniques ne soit pas un prétexte pour diminuer le nombre de professionnels de l’information dans les institutions. Recommandation 9 : Que des formations continues sur les ressources numériques soient offertes pour les employés et les usagers des bibliothèques et des centres d’archives. De plus, les ressources numériques représentent plus souvent qu’autrement des investissements important pour les bibliothèques. BAnQ, qui doit desservir l’ensemble de la population québécoise, pour l’année fiscale 2012-2013, comptabilise un ratio de 50/50 pour ce qui est du traitement des documents physiques et numériques de la collection universelle selon Mélanie Dumas, Directrice de l’accès à la Collection universelle (BAnQ 2013). Dans le cas des bibliothèques universitaires, ces dernières ont souvent des budgets majoritairement consacrés à l’acquisition des ressources numériques. Ceci s’explique par le fait que le coût d’accès aux bases de données est de plus en plus exorbitant. Selon l’Association of Research Libraries, le coût des abonnements aux périodiques pour les universités a augmenté de 402 % de 1986 à 2011, un pourcentage énorme considérant que l’inflation n’a été que de 106 % dans les mêmes années. (Richard Dumont 2013a) Les étudiants exigent de plus en plus d’avoir accès à l’information rapidement et le plus possible sans avoir à se déplacer. Les bibliothèques universitaires tentent donc de satisfaire leur clientèle en leur offrant les ressources numériques les plus importantes et indispensables au détriment du développement des collections imprimées. Ainsi, les bibliothèques de l’Université de Montréal ont alloué seulement 11 % de leur budget à l’achat de monographies en 2012. (Richard Dumont 2013b) L’achat de périodiques électroniques est un problème croissant dans les universités, alors que les fournisseurs refusent de vendre leurs périodiques à la pièce et en vendent plutôt de grands ensembles. Ces derniers contiennent toutefois très peu de périodiques utiles aux usagers des bibliothèques universitaires, et les institutions paient alors pour des documents qui ne sont pas utilisés. Cela permet aux fournisseurs de bénéficier d’une marge de profit très Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 16 importante2, alors que les budgets des universités sont peu à peu saturés. Les universités, pour diminuer leurs coûts, forment des consortiums afin de pouvoir négocier avec les fournisseurs. Toutefois, ces mesures ne sont pas suffisantes et il est impératif de revoir les ententes avec les fournisseurs de bases de données. Recommandation 10 : Qu’une entente avec les fournisseurs de bases de données soit faite pour en diminuer les coûts. D’autres moyens ont également été envisagés pour réduire la dépendance des bibliothèques universitaires aux grands ensembles de périodiques pour avoir accès à la littérature scientifique. Ainsi, les universités mettent à la disposition des étudiants, chercheurs et professeurs des dépôts institutionnels. Présentement, les dépôts accueillent les mémoires et thèses des étudiants, mais également certains articles publiés par les professeurs de ces institutions. De plus, certains chercheurs publient également leurs articles sur leurs sites web personnels, en accès libre. Toutefois, il faut noter que certaines ententes avec les périodiques qui éditent ces articles interdisent aux professeurs de publier leurs articles ailleurs, soit en accès libre. Afin de valoriser l’accessibilité à l’information, nous encourageons les chercheurs à utiliser ces alternatives. Recommandation 11 : Que les dépôts institutionnels et la publication en accès libre soient favorisés. De plus, notons que l’arrivée progressive du livre numérique dans les bibliothèques pose encore certains problèmes d’accessibilité. Depuis quelques mois, les bibliothèques publiques sont de plus en plus nombreuses à proposer à leurs abonnés des livres numériques grâce à la plateforme PRETNUMERIQUE.CA. Il s’agit d’une plateforme qui propose des livres de fiction, majoritairement québécois, tout comme des essais ou autres documentaires, aux abonnés des bibliothèques participantes. Bien que l’offre documentaire ne soit pas encore parfaite (plusieurs éditeurs ne proposant pas leurs titres en format numérique), cette plateforme offre un service intéressant. Malheureusement, 2 Richard Dumont rapportait que « les profits énormes d'Elsevier – 1,1 milliard sur des revenus de 3 milliards (36 %) en 2011 – ne sont donc pas le fruit du hasard... J'ai pris l'exemple d'Elsevier, mais la situation est similaire chez les autres grands éditeurs commerciaux: Springer (34 % en 2010), John Wiley & Sons (42 % en 2011)1, etc. ». (Richard Dumont 2013a) Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 17 Amazon refuse présentement de participer à ce projet, et il est donc impossible pour les propriétaires de Kindle de télécharger gratuitement des livres via cette plateforme, car le Kindle ne lit pas les formats EPUB (BIBLIOPRESTO.CA 2014). Pour garantir l’accessibilité à ces titres, il est nécessaire d’obtenir une entente avec Amazon pour que les livres numériques puissent être empruntés par le plus grand nombre d’usagers possible. D’autres bases de données viennent pallier à l’offre documentaire incomplète au niveau des livres numériques. Pensons notamment à Numilog, base de données offerte par la BAnQ, qui compte plusieurs oeuvres européennes qui ne sont toujours pas disponibles sur PRETNUMERIQUE.CA. Or, cette plateforme semble être relativement coûteuse, ce qui signifie que la majorité des bibliothèques publiques ne peuvent pas l’offrir à leurs abonnés. Nous croyons qu’un partage de ces ressources parmi les bibliothèques publiques serait souhaitable afin d’augmenter l’offre de livres numériques dans les bibliothèques publiques. La situation est également problématique dans les bibliothèques scolaires, qui n’ont aucune entente avec des fournisseurs de livres numériques au moment d’écrire ces lignes. Afin de favoriser l’apprentissage de la lecture chez les élèves québécois, il nous semble nécessaire de travailler à la mise sur pied d’une entente visant l’offre de livres numériques dans les bibliothèques scolaires. Recommandation 12 : Que les plateformes de livres numériques soient accessibles sur tous les types de support (Kindle, Android, Apple, Windows, etc.). Recommandation 13 : Que l’augmentation de l’offre de livres numériques pour les bibliothèques publiques et scolaires soit favorisée. Enfin, il faut être conscient que la conservation des documents numériques peut poser problème. Le monde informatique étant en constante évolution, il est impossible de savoir quels seront les supports privilégiés dans une dizaine d’années, voire les formats que nous pourrons encore décrypter. Il suffit de songer aux VHS ou aux disquettes : nombreux sont ceux qui n’ont plus les appareils permettant de lire les documents se Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 18 trouvant sur ces supports. De même, il est possible que de vieux formats électroniques soient impossibles à lire sur de nouveaux équipements. Le même problème peut se poser pour les documents indexés sur les différentes bases de données offertes par les bibliothèques. En effet, il est possible que certaines ententes avec des fournisseurs ne permettent pas aux bibliothèques de conserver les documents pour lesquels ils ont payés par le passé si jamais le fournisseur fait faillite ou si la bibliothèque met fin à son abonnement. Il est donc indispensable de sensibiliser les professionnels de l’information à cette problématique et d’envisager des solutions nous permettant de conserver les documents électroniques malgré l’évolution des supports. Recommandation 14 : Que les bibliothèques et les centres d’archives soient sensibilisés aux problèmes de conservation que peuvent poser les formats numériques et que des actions soient entreprises pour assurer la pérennité des documents électroniques. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 19 Perspectives des bibliothèques : le troisième lieu L’arrivée du numérique dans les bibliothèques est l’occasion de remettre en question la mission des bibliothèques. Les sanctuaires du livre où le travail individuel et le silence étaient de mise ne correspondent plus aux besoins de la clientèle des bibliothèques. De plus en plus, les usagers des bibliothèques ont besoin d’un lieu où ils peuvent communiquer, travailler en équipe et se détendre. La bibliothèque doit évoluer et se dissocier de la conception conservatrice selon laquelle les bibliothèques ne sont pas des lieux où socialiser. Encore trop peu d’usagers voient la bibliothèque comme un endroit où rencontrer des gens et où échanger : un sondage mené en 2009 par Léger Marketing pour la Table de concertation des bibliothèques québécoises indiquait que seuls 12 % des Québécois étaient tout à fait d’accord pour dire que la bibliothèque devrait être un lieu pour rencontrer des amis ou pour socialiser (Table de concertation des bibliothèques québécoises et Léger Marketing, p.57). La bibliothèque demeure encore un lieu lié à l’emprunt de documents : ce même sondage indiquait que 68 % des répondants fréquentaient principalement la bibliothèque pour emprunter des documents (Ibid, p.116) Afin de briser cette conception et de faciliter les échanges, les programmations d’activités de plus en plus élaborées favorisent les rencontres entre les citoyens. Les bibliothèques deviennent donc des lieux de rencontre comme l’étaient jadis les églises et les marchés et permettent ainsi de contrer l’effet d’isolement social qui devient de plus en plus lourd (Servet 2010). Mathilde Servet, spécialiste du troisième lieu à la BnF, affirme même que celui-ci est un espace « neutre, propice à un échange informel entre tous les membres de la communauté, procurant des opportunités de rencontres autres que celles possibles dans les sphères privée ou professionnelle. » (Servet 2010). L’espace des bibliothèques doit également être repensé afin d’offrir plus que de simples tables de travail et des étagères pour classer des documents. On voit donc apparaître dans les bibliothèques des fab labs qui offrent les outils nécessaires aux usagers pour la création de matériaux, d’outils ou encore de vêtements (Chapdelaine 2013). Les nouveaux aménagements de bibliothèques « troisième lieu » sont donc divisées en fonction de l’utilité des espaces. Ainsi, des salles sont plus propices au silence et au travail individuel tout comme des espaces sont aménagés de façon à permettre aux Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 20 usagers de faire du bruit, de discuter et de débattre sans déranger. Afin qu’un troisième lieu soit complet, il est nécessaire d’y offrir des endroits où il est possible de manger et de boire. C’est pourquoi, de plus en plus, les bibliothèques prévoient un espace « café ». Ces zones peuvent aussi inclure des endroits plus ouverts et d’autres plus intimistes afin que chacun y trouve son confort. De plus, pour remplir la mission de la bibliothèque, il est aussi important de promouvoir la création pour favoriser l’émergence de talents tant chez les jeunes que les adultes. La bibliothèque doit donc fournir les moyens nécessaires à l’émergence de cette relève culturelle en offrant à ses usagers des services favorisant la création. Les usagers des bibliothèques ont aussi, plus que tout, besoin d’un lieu où ils peuvent être stimulés que ce soit manuellement ou intellectuellement. Afin d’encourager cette évolution du concept de bibliothèque, plusieurs institutions ont donc adopté le concept du troisième lieu. Celui-ci fut élaboré par Ray Oldenburg, professeur de sociologie urbaine, qui le définit comme un espace important pour la société civile, la démocratie, l’engagement civique et l’instauration d’un sentiment d’appartenance. (AEEEBSI 2014b) Dans le contexte de dématérialisation du savoir, de la diversification des biens culturels et d’information dans lequel la bibliothèque s’inscrit, celle-ci aura donc avantage à redéfinir ses espaces, ses pratiques et ses mandats afin d’assurer sa pérennité. Le concept de troisième lieu est une approche qui permet de bien s’adapter aux besoins changeants de la clientèle des bibliothèques. À ce sujet, Réjean Savard, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, affirmait en entrevue : «Même s'ils ont accès à d'innombrables sources d'information, les gens ont besoin de sortir de chez eux. Les élus estiment qu'il faut leur offrir un lieu à la fois convivial et inspirant». (Mathieu-Robert Sauvé 2013) En en faisant des lieux où les usagers peuvent aller se détendre en dehors de la sphère du foyer et du domaine du travail, en devenant le troisième lieu des citoyens, la bibliothèque regagne sa place légitime au sein de la société. Nous considérons donc que les bibliothèques canadiennes devraient se doter d’espaces correspondants à l’approche du troisième lieu afin de s’ajuster aux besoins de sa population tout en assurant sa pérennité en devenant un lieu Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 21 social essentiel, permettant aux usagers de reprendre goût aux communications et aux rencontres physiques. Lors de précédents débats, l’AEEEBSI s’était déjà prononcée sur la question de troisième lieu au sein des bibliothèques. Nous rappelons ici la position issue de ces discussions : Que l’AEEEBSI prenne position en faveur de la réflexion, de la discussion et de la recherche sur la redéfinition de la bibliothèque comme troisième lieu.(AEEEBSI 2014b) Ainsi, nous croyons que le concept de bibliothèque comme troisième lieu devrait être encouragé au sein des institutions canadiennes. Recommandation 15 : Que le concept de bibliothèque en tant que troisième lieu soit mis de l’avant au sein des bibliothèques canadiennes. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 22 Conclusion L'avènement du numérique dans les bibliothèques et centres d'archives canadiens provoque une aire d'évolution dans ces milieux qui doivent redéfinir leur mission et s'adapter aux changements constants liés au numérique. L'AEEEBSI est bien placée pour se prononcer sur cette question puisque les étudiants en sciences de l'information s'interrogent constamment sur les enjeux et l'avenir de leur future profession. Les étudiants en bibliothéconomie et sciences de l'information recherchent donc, tout au long de leur parcours, à bien s'outiller et à prévoir de quelles notions ils auront besoin pour répondre aux besoins de leur futur milieu de travail. C'est pourquoi nous avons tenu à nous prononcer sur les sujets proposés qui nous interpellaient plus particulièrement, soit la formation des futurs professionnels de l'information, les enjeux du numérique et la perspective des bibliothèques comme troisième lieu. Il nous est apparu important qu'une adaptation de la formation à la maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l'information soit envisagée. Selon nous, cette formation devrait inclure des cours sur les nouveaux médias et les nouveaux publics et être construits de manière interdisciplinaire afin de couvrir plusieurs aspects du travail pluridisciplinaire des professionnels de l'information tels que la gestion, l'informatique, la communication et le design. Nous sommes aussi d'avis que la formation continue devrait être favorisée. Nous souhaitons aussi avancer qu'il serait important qu'au cours de ces formations, des valeurs communes doivent être développées. Enfin, la formation en archivistique au Québec devrait faire l'état de discussions. Pour ce qui est des enjeux du numérique, nous avons soulevé qu'il est important de tenir compte de la fracture numérique et du fossé d'accès à l'information qu'elle pourrait engendrer auprès des régions où il n'y a pas d'accès à Internet et des personnes n'ayant pas les connaissances nécessaires à l'utilisation des ressources électroniques. Pour que le passage au numérique soit possible, il faut avant tout former des professionnels de l'information à l'utilisation des ressources afin que ceux-ci puissent ensuite faire part de leur savoir aux usagers des bibliothèques et des centres d'archives. Il est aussi important que ces professionnels soient disponibles auprès des usagers pour faciliter leur immersion au monde du numérique. L'accès à des ressources électroniques ne doit donc pas servir de Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 23 prétexte à la diminution de l'embauche de professionnels de l'information puisqu'ils sont plus que jamais indispensables à la population. La formation continue aux employés et aux usagers des milieux documentaires est aussi un élément important du passage de ces institutions au numérique. D'un autre point de vue, bien que les formats électroniques peuvent faciliter l'accès à l'information à distance, nous avons souligné la problématique de leurs coûts de plus en plus exorbitants. Il est indispensable qu'une entente avec les fournisseurs de bases de données soit faite pour en diminuer les coûts. Comme moyen d'arriver à contrer le pouvoir des fournisseurs, nous avons proposé comme solution de favoriser la publication en accès libre et dans les dépôts institutionnels. Les plateformes de livres numériques devraient aussi être accessibles sur tous les types de supports. L'offre de livres numériques devrait être prioritairement favorisée dans le milieu des bibliothèques publiques et scolaires. Enfin, le développement de ressources numériques dans les centres d'archives et les bibliothèques devrait être fait dans le souci de la conservation des documents numériques. Le concept de troisième lieu est, selon nous, la perspective la plus prometteuse en ce qui a trait à l'avenir des bibliothèques. L'aménagement de celles-ci et leurs fonctions doivent être repensés afin de bien répondre aux besoins des usagers qui n'ont plus besoin des bibliothèques comme lieu d'étude et de lecture, mais comme un lieu favorisant les interactions sociales, la détente et le divertissement tout en faisant la promotion des différentes sphères culturelles. Nous aimerions remercier la Société royale canadienne pour la tribune offerte et souhaitons que les recommandations dont fait état ce document serviront à orienter cette institution dans ses décisions à venir concernant l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives canadiens. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 24 Rappel des recommandations Recommandation 1 : Que les programmes de cycles supérieurs en bibliothéconomie et sciences de l'information offrent des cours sur les nouveaux médias et les nouveaux publics. Recommandation 2 : Que les programmes de cycles supérieurs en bibliothéconomie et sciences de l'information soient construits de manière interdisciplinaire, en incluant notamment des cours en gestion, en informatique, en communication et en design. Recommandation 3 : Que la formation continue en bibliothéconomie et sciences de l’information soit encouragée, que ce soit au sein des universités ou des associations professionnelles. Recommandation 4 : Que la création d’un D.E.S.S. en gestion de services d’information pour les étudiants ayant un diplôme de cycles supérieurs en sciences de l'information ou ayant une expérience équivalente dans le milieu des services documentaires soit envisagée dans les universités canadiennes offrant un parcours en sciences de l’information. Recommandation 5 : Qu'une discussion entre les acteurs du milieu archivistique québécois soit organisée pour cerner les lacunes de la formation en archivistique et offrir des solutions réalistes. Recommandation 6 : Que la formation universitaire des futurs professionnels de l’information encourage le développement de valeurs communes, soit d’assurer le droit fondamental à la liberté intellectuelle, faciliter l’accès à toutes formes et à tous moyens d’expression du savoir, garantir le droit d’expression, garantir le droit à l’anonymat, s’opposer à toutes tentatives visant à limiter le droit à l’information et à la libre expression de la pensée. Recommandation 7 : Que l’acquisition de ressources numériques ne se fasse pas au détriment des populations n’ayant pas accès à Internet. Recommandation 8 : Que l’accès à des ressources électroniques ne soit pas un prétexte pour diminuer le nombre de professionnels de l’information dans les institutions. Recommandation 9 : Que des formations continues sur les ressources numériques soient offertes pour les employés et les usagers des bibliothèques et des centres d’archives. Recommandation 10 : Qu’une entente avec les fournisseurs de bases de données soit faite pour en diminuer les coûts. Recommandation 11 : Que les dépôts institutionnels et la publication en accès libre soient favorisés. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 25 Recommandation 12 : Que les plateformes de livres numériques soient accessibles sur tous les types de support (Kindle, Android, Apple, Windows, etc.). Recommandation 13 : Que l’augmentation de l’offre de livres numériques pour les bibliothèques publiques et scolaires soit favorisée. Recommandation 14 : Que les bibliothèques et les centres d’archives soient sensibilisés aux problèmes de conservation que peuvent poser les formats numériques et que des actions soient entreprises pour assurer la pérennité des documents électroniques. Recommandation 15 : Que le concept de bibliothèque en tant que troisième lieu soit mis de l’avant au sein des bibliothèques canadiennes. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 26 Sources consultées et citées AEEEBSI. 2014a. À propos. consultée le 8 janvier 2014. AEEEBSI. 2014b. Cahier de positions. consultée le 2 janvier 2014. BIBLIOPRESTO.CA. 2014. Introduction aux livres numériques et aux appareils de lecture. consultée le 5 janvier 2014. Chapdelaine, Vincent (Espaces Temps). 2013. Les fab labs en bibliothèque présenté à l'Université de Montréal, cours SCI6123 - Gestion des technologies en bibliothèques. Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec. 2013a. Olivier Ménard. consultée le 2 janvier 2014. Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec. 2013b. Savoir.ca. consultée le 2 janvier 2014. Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec. 2014. Formation continue consultée le 2 janvier 2013. Ducharme, Daniel. 2013. «La question de la formation des gestionnaires de documents et des archivistes au Québec». In Daniel Ducharme, archiviste (records and archives manager). consultée le 7 janvier 2014. Dumas, Mélanie (BAnQ). 2013. Virage numérique : réinventer le traitement documentaire présenté à l'Université de Montréal, cours SCI6123 - Gestion des technologies en bibliothèques, p. 8. Dumont, Richard. 2013a. «Bibliothèques : Les dindons de la farce.» In Forum. consultée le 5 janvier 2014. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 27 Dumont, Richard. 2013b. «Une nouvelle ère pour les collections: les pièces du puzzle.» In Forum. consultée le 5 janvier 2014. Faculty of Information & Media Studies. University of Western Ontario. 2014. All courses. consultée le 2 janvier 2014. Hoopla. 2014. Hoopla. consultée le 2 janvier 2014. Koehler, Wallace C., Pemberton, Michael. 2000. A search for core values: towards a model code of ethics for information professionnals. Journal of Information Ethics 9, pages 26-54. Larouche, Jean-Marie, Legault, G.A. 2003. L’identité professionnelle. Construction identitaire et crise d’identité. Crise didentité. Sous la direction de G.A. Legault (pages 126). Crise d’identité et professionnalisme. Sainte-Foy, Québec: Presses de l’Université du Québec. Ministère de la culture et des communications du Québec et Bibliothèque et Archives nationales du Québec. 2012. Statistiques des bibliothèques publiques du Québec 2012 Fiche sommaire. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. consultée le 5 janvier 2014. Réseau BIBLIO du Québec et Bibliothèques publiques du Québec. 2007. L'avenir des bibliothèques publiques du Québec : actes du Colloque tenu le 20 avril 2007 à la Grande Bibliothèque. consultée le 2 janvier 2014. Salaün, Jean-Michel et Clément Arsenault (sous la direction de). 2009. Introduction aux sciences de l'information. Montréal, Les Presses de L'Université de Montréal, 235 pages. Sauvé, Mathieu-Robert. 2013. La bibliothèque peut être votre «troisième lieu». consultée le 7 janvier 2014. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 28 School of Library and Information Studies. Faculty of Education. University of Alberta. 2014. Workshops. consultée le 2 janvier 2014. School of Library, Archival & Information Studies. University of British Columbia. 2014. SLAIS : The iSchool at UBC Courses -- Overview. consultée le 2 janvier 2014. Servet, Mathilde. 2010. Les bibliothèques troisième lieu. (consultée le 7 janvier 2014). Statistique Canada. 2013. Enquête canadienne sur l'utilisation d'Internet, 2012. consultée le 3 janvier 2014. Table de concertation des bibliothèques québécoises et Léger Marketing. 2009. Perceptions et satisfaction des Québécois à l'égard des bibliothèques. consultée le 2 janvier 2014. Trede, Franziska, Macklin Rob, Bridges, Donna. 2012. Professional identity development : a review of the higher education literature. Studies in Higher Education 37(2), pages 365-384. Université de Montréal. 2014. Qu'est-ce qu'une maîtrise ? Un D.E.S.S.? Un microprogramme? consultée le 2 janvier 2014. WorldWideWebSize. 2014. The size of the World Wide Web (The Internet). consultée le 5 janvier 2014. Mémoire sur l'état et l'avenir des bibliothèques et des centres d'archives Page 29