DÉSASTREUX, CATASTROPHIQUE MAIS ON L'AIME TOUT DE MÊME LE BAZAR D'IDÉES TON-MILE-END.NET HIVER 2014 PRISE DE POSITION PRÉSENTÉE À LA SOCIÉTÉ ROYALE CANADIENNE DANS LE CADRE DE LA CONSULTATION SUR L'ÉTAT ET L'AVENIR DE LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE POUR CONSULTER LA REPRÉSENTATION EN LIGNE, VISITEZ LA BARRICADE DU TON-MILEEND.NET http://barricade.ton-mile-end.net/pro/etat_et_avenir_des_bibliotheques_publiques 1 LIMINAL Le bazar d’idées ton-mile-end.net est heureux de participer à cette consultation sur l’avenir de la bibliothèque orchestrée par la Société Royale canadienne. Depuis les premières heures de la mise en service du ton-mile-end.net, à l’été 2011, l’avenir de la bibliothèque publique s’est avéré une préoccupation constante et un sujet abondamment discuté. Aujourd’hui, sur le petit réseau d’espaces web du bazar d’idées ton-mile-end.net, on retrouve trois espaces entièrement dédiés à l’institution, aux valeurs qu’elle véhicule et à son avenir : le Parablogue / Parabiblio et les sous-domaines « Avenir de la bibliothèque publique » et « Horizon-17, » en plus de la série de capsules vidéos « Aujourd’hui, demain » qui discute de renouveau bibliothécaire et, plus largement, de renouveau institutionnel (Québec). Le ton-mile-end.net continue de faire prévaloir la sémillance de la culture web francophone en élaborant des contenus originaux, critiques et véhiculant autant que possible les valeurs du progrès social. À certaines occasions, durant une année typique, sept ou même huit des dix premières destinations suggérées par le moteur de recherche Google sur les mots-clés « avenir de la bibliothèque publique » sont des contenus originaux diffusés sur l’un ou l’autre des espaces web du réseau ton-mile-end.net. De manière générale, au Québec, une recherche Google sur ces mots-clés place une page du réseau d’espaces web ton-mile-end.net comme premier choix ou très près de la première place et, en France, comme cinquième ou sixième choix. Avec à son programme la traduction de certains contenus en anglais et son entrain à développer des angles de contestations originaux et très critiques quant à l’institution, le bazar d’idées ton-mile-end.net doit être considéré comme un actant incontournable sur internet et, à ce titre, un actant important de l’arène de débats publics sur l’avenir de la bibliothèque publique. Pour la bibliothèque publique, le bazar d’idées ton-mile-end.net souhaite un avenir ambitieux : nous tenons à signifier notre déception quant aux programmes et recommandations généralement mis de l’avant dans l’arène de débats publics sur l’avenir de la bibliothèque publique. Nous croyons que la frilosité que nous relevons dans les considérations débattues pour renouveler la bibliothèque publique frôle à plusieurs égards l’abnégation. Le climat de l’arène de débats publics sur l’avenir de la bibliothèque publique nécessite d’être fortement revigoré avec de nouvelles interactions et un influx constant d’idées 2 neuves. Faute de quoi, on y continuera de débattre en censurant les questions et les réponses les plus provocatrices, mais également celles qui sont le plus à même d’ouvrir des perspectives nouvelles quant à un avenir de la bibliothèque publique qui s’éloignerait de la pérennisation aveugle des manières de faire, des manières de penser également. * Nous offrons nos plus sincères remerciements à la Société Royale canadienne de bien vouloir tenir compte de notre prise de position sur l’État des lieux et l’avenir de la bibliothèque publique. INTRODUCTION Le bazar d’idées ton-mile-end.net approche les affaires du monde, selon une conjonction qui allie démocraties-libérales et sociétés capitalistes avancées. Ces ensembles « postindustriels, » sont régulièrement recoupés sous l’étiquette néolibérale – culture néolibérale, politique néolibérale, économie néolibérale, etc. Lorsque les questions relatives à la bibliothèque publique ou à son avenir sont débattues, ce cadre généralement adopté glisse vers d’autres conceptualisations, à même de mieux servir le caractère culturel ou idéel de l’institution. Lorsque la course à la rentabilité est omniprésente, comme dans nos sociétés capitalistes avancées, le ressort culturel d’institutions comme la bibliothèque publique à de quoi détonner : quoi, voici donc un lieu public qui n’a rien à me vendre? Mais suffit-il vraiment que l’offre de service de la bibliothèque publique à la collectivité soit souvent gratuite pour que celle-ci soit culturelle et pour que ce service en soit un proprement culturel? Parier sur le cas contraire, c’est cesser de planter l’arbre qui cache la forêt. LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE EST UN SIMPLE ORGANE DU GOUVERNEMENT Ceux et celles qui ont eu la chance de visiter de par le monde des bibliothèques publiques ou privées ont sans doute également la chance d’avoir une plus riche conception de la bibliothèque publique que l’usager régulier de ces lieux, au demeurant souvent abritée par des architectures magnifiques. Cette 3 réserve mise de côté, l’imaginaire collectif le plus généralement partagé du lieu bibliothécaire est simple et ennuyeux : la bibliothèque publique collectionne des documents imprimés et offre un service de prêt de ces documents imprimés. Et pour cause, revisiter les bibliothèques publiques de votre municipalité 10, 20 ou 50 ans après votre toute première visite : a-t-elle changé ? Arguer que les quelques postes informatiques ici et là ou que les petites tablettes « vous pouvez me déranger, ça ne me dérange pas » posées au-devant des bureaux des bibliothécaires aient changé l’image de la bibliothèque publique, c’est comparer la substitution d’une moquette pour une autre à un renouveau institutionnel. Lorsqu’on envisage le flux culturel le plus important depuis de la deuxième moitié du vingtième siècle, il est impossible d’ignorer le postmodernisme – le désaveu des idéaux de la modernité, en ce sens où après une guerre aussi longue, aussi terrible, après, également, la découverte de l’industrie de la mort orchestrée par la folie nazie, le monde culturel ne pouvait se permettre de simplement retrousser les manches et embrasser les mêmes idéaux totalisants qu'ils avaient pu avoir avant ce massacre organisé par l'homme : finis, pour toujours, les épistémologies uniques, la prétention à l’objectivité, à la neutralité ou à l’élitisme culturel qui prévoyait la discrimination des œuvres artistiques ou intellectuelles selon qu’elles puissent être jugées populaires ou savantes. Finis l’accumulation de capital culturel par la collection de livres, ou le transfert de capital culturel par un service de prêt orchestré par des gardiens de l’information dilligents et bien formés à cet égard. Plus d’un demi-siècle de théories critiques plus tard, il y a fort à parier que les bibliothèques publiques de votre municipalité n’ont en rien embrassé, sauf peutêtre sur le plan architectural, des idéaux que portaient ce grand courant de contestation, ce grand espoir de renouveau et de progrès social également. L’ADAPTABILITÉ DE L'INSTITUTION MISE EN CAUSE L’originalité n’est pas kitsch : il est impossible de prétendre à l’originalité avec un service ultra-prévisible. Le service qu’offre la bibliothèque publique à la collectivité est reconduit aveuglément depuis des siècles. Il est difficile d’imaginer comment ces travailleurs et travailleuses de la culture, qui fréquentent au quotidien le marché des idées, ne sont pas les plus habilités à explorer ce marché pour créer de nouveaux services culturels. Sauf peut-être si le service administratif prend le pas plus souvent que le 4 service culturel; encore qu’auquel cas la neutralité de l’institution ne peut échapper à la critique postmoderne. Balayer du revers de la main les critiques de l’institution en justifiant le statu quo par la lourdeur administrative ou par la préciosité de l’institution pour les collectivités c’est abdiquer quant à son avenir. L’adaptabilité de l’institution doit être remise en cause : ses qualités démocratiques, publiques et culturelles, doivent être revisitées de manière critique. Ce n’est ni sa lourdeur administrative, ni sa préciosité qui justifient le financement public des bibliothèques publiques, mais très largement – son ressort culturel et, dans une autre mesure, sa participation non seulement à l’appareil du gouvernement, mais à la vie démocratique et communautaire. Il est tout à fait malheureux que la neutralité institutionnelle qu’elle adopte constamment l’empêche de participer pleinement aux grands comme aux petits débats de notre société : en retour, les travailleurs et travailleuses de la culture qu’elle emploie sont complètement décapacités de produire des intrusions créatives dans la quotidienneté des usagers qui fréquentent les lieux bibliothécaires et, en définitive, la bibliothèque publique est décapacitée d’interagir avec les autres structures du gouvernement. LA BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE AU CENTRE DE DÉBATS Critiquer la bibliothèque publique, c’est remettre la bibliothèque publique dans des arènes de débats publics en phase avec le marché des idées néocontemporaines. La tendance au réseautage provoque des solutions clés en main pour les institutions comme la bibliothèque publique : trop souvent, s’inspirer des meilleures pratiques au monde tend à sous-entendre que les chaines de créativité locales seront ignorées parce que les idées trop déviantes ne pourraient, de toute manière, se faire valoir dans la mise en réseau. Or, participer de la diversité culturelle c’est également faire en sorte que l’on retrouve au sein de ces réseaux une variété identitaire, en outre en termes de services offerts aux collectivités. Prévoir étudier le ressort culturel de la bibliothèque publique, son adaptabilité ou encore son avenir n’est pas un exercice qui invite à la prudence. Au contraire, c’est un exercice qui invite à la folie ou, pour employer la formule convenue, à la défiance du libéralisme. 5 LA DÉFIANCE DU LIBÉRALISME L’argumentation que nous venons de poser, en guise d'introduction, se décline en trois points; nous allons maintenant synthétiser ces trois points, avant de nous attarder sur le troisième point et d’offrir quelques pistes de solutions capables de quelques ambitions quant à l’avenir de la bibliothèque publique. i. Prolifération identitaire : l’imaginaire collectif associé aux bibliothèques publiques est reconduit aveuglément – la nature du service offert à la collectivité par les bibliothèques publiques est ultraprévisible, et ne constitue plus en rien un service culturel; ii. Neutralité institutionnelle : le carcan administratif et gouvernemental diminue la valeur du ressort culturel de l’institution et prive de moyens les ressources humaines employées par les bibliothèques publiques pour réinscrire l’institution dans l’appareil du gouvernement comme un haut lieu de culture; iii. Défiance du libéralisme : le faible ressort culturel de la bibliothèque publique remet en cause son appartenance au rayon des institutions culturelles, démocratiques et publiques. Son adaptabilité dépend de la remise en phase de l’institution avec un marché des idées qui ne discrimine pas les idées audacieuses qui permettraient de sortir la nature du service offert à la collectivité de l’ultra-prévisibilité. Saviez-vous que si chacune des 45 bibliothèques du Réseau des bibliothèques publiques de Montréal avait son propre blogue et que ce blogue était alimenté hebdomadairement, la culture québécoise compterait à la fin de l’année près de 2500 productions culturelles de qualité de plus? Par extension, ces contenus participeraient de la diversité culturelle sur le réseau internet comme des contenus canadiens, par opposition au gigantisme de la production étasunienne. Ces entrées de blogue constitueraient un ensemble de codes que les générations futures s’emploieraient à décoder grâce à l’élaboration d’autres productions culturelles. En termes de production d’artéfacts culturels néocontemporains, le Réseau des bibliothèques publiques de Montréal finira l’année avec quelque 30 entrées, publiées sur le blogue du Réseau « Espace B, » un immense déficit culturel par rapport à une production somme toute assez modeste (une entrée originale par semaine, par bibliothèque publique située à Montréal.) PASSAGER-CLANDESTIN La formule passager-clandestin est utilisée pour décrire les bénéficiaires d’un programme ou d’une 6 politique publique qui participe mal de l’équité prévue par l’association, le programme ou, encore, la politique publique. Les Appellations d’Origine Contrôlée offrent sans doute l’exemple le plus éloquent de cette problématique : le consommateur est invité à concevoir l’AOC comme une certaine garantie qualitative d’un produit, sans que cela empêche un producteur de cette région d’offrir un produit de piètre qualité… qui plus est, de le mettre en marché à prix sans rapport aucun avec sa qualité, ni avec les attentes du consommateur. Lorsqu’on reconduit aveuglément la pérennisation de l’institution, on replante la bibliothèque publique dans le paysage social et l’appareil d’État comme les mauvais garnements de l’industrie vinicole. Le bât blesse lorsqu’on réalise que tant l’institution que les administrations publiques dont elles dépendent ont un faible pour cette reconduite aveugle : aimer et respecter de toutes et de tous l’institution est, pour ainsi dire, à l’abri de la critique. L’institution est mal servie par cette protection : coupée de la critique, elle est également déphasée du marché des idées, elle qui pourtant se présente comme une institution idéelle, elle qui pourtant « oblige » ces ressources humaines à côtoyer des productions intellectuelles à longueur de journée. Il ne faut pas hésiter à nourrir les angles de contestations du statu quo et critiquer tant l’institution que le gouvernement qui affadissent les principaux ressorts de la bibliothèque publique en diluant sa qualité culturelle et en minant ses qualités démocratiques et publiques. LA DÉFIANCE DU LIBÉRALISME COMME SOLUTION On a souvent recours à des formes de défiances du libéralisme dans les arts : les pratiques audacieuses, mais surtout dérangeantes deviennent grâce à cette défiance des preuves tangibles que la liberté d’expression existe dans les juridictions où sont exposées ces œuvres. La défiance du libéralisme permet également de faire évoluer le gout du public, en l’exposant à d’autres formes d’expressions ou d’autres formes de dialogues entre le plan formel et le plan de la substance. Pour rependre une boutade bien heureuse, la défiance du libéralisme est la garantie tout autant que la preuve que le bon gout bourgeois n’a pas été fixé indéfiniment entre nos ancêtres et les dinosaures. Lorsqu’un très bel édifice est construit à une adresse prestigieuse pour accueillir un service public, les créditeurs publics, souvent différents ordres d’administrations publiques (municipales, provinciales, fédérales) sont, en quelque sorte, engagés 7 dans une forme de défiance du libéralisme parce que la décision échappe complètement au rationalisme économique. Les pratiques audacieuses ne sont pas kitsch : elles échappent à l’ultra-prévisibilité et, à ce titre, ne peuvent être ignorées dans un propos sur l’avenir de la bibliothèque publique qui cherche, encore plus qu’à pérenniser l’institution, à renouveler et les bibliothèques publiques et l’offre de services à la collectivité qu’elles dispensent. C’est le propre des pratiques audacieuses ou simplement originales de surprendre : à ce titre, elle échappe à une forme de rationalisme qui limiterait les pistes de solutions explorées dans l’arène de débats publics sur l’avenir de la bibliothèque publique aux solutions clés en main ou, encore, éprouvées. Dit simplement, il est impossible d’explorer cette piste de solutions sans envisager que quelques idées pouvant heurter la sensibilité du grand public puissent être retenues, sans envisager également que quelques solutions retenues seraient de prime abord rejetées par ce même grand public. RÉCOMPENSER LA DÉVIANCE? L’argument du passager-clandestin posé en premier lieu pour critiquer les bibliothèques publiques et les administrations publiques dont elles dépendent peut également être récupéré en regard du capital humain des bibliothèques publiques. Selon le scénario que nous vous proposons d’adopter pour illustrer ce prochain argument, les employés des bibliothèques publiques profitent d’un système où les idées neuves, originales et déviantes sont réprimées par l’institution, parce qu’il est préférable pour eux d’être cooptés par ce système, ici utilisé comme un quasi-synonyme de culture institutionnelle. Dans ce jeu où s’échangent des promotions et autres distinctions pour le personnel, les seules idées neuves qui s’offrent à la bibliothèque publique sont celles qui émanent de ceux et celles qui ont déjà été cooptés. La prochaine figure illustre une suite arbitraire d’objectifs poursuivis par une bibliothèque publique par une courbe bleue qui traduit l’état d’avancement (de 0% à 100% des objectifs réalisés). 8 La courbe noire traduit la sclérose appréhendée de la culture institutionnelle, où les mêmes manières de faire et d’envisager la livraison de services culturels en bibliothèques publiques est reconduite aveuglément, en outre, parce que les idées neuves sont issues des éléments cooptés par cette même culture institutionnelle – lorsqu’on projette cet état de sclérose sur une temporalité assez importante on s’aperçoit rapidement qu’il frôle la fossilisation : l’exemple de bibliothèques publiques abriter dans de magnifiques construction postmodernes, mais continuant, aux bas mots, à poursuivre des idéaux hérités d’une autre époque et d’un autre continent saute aux yeux. Deux zones rougeâtres ont été ajoutées à chacune des extrémités de cette courbe pour illustrer les zones de déviances et, par extension, de pratique de la défiance du libéralisme. Cette figure est tirée du livrel « Changer les bibliothèques publiques depuis les marges, » publié par le bazar d’idées ton-mile-end.net il y a quelques semaines. Prière de noter que la figure originale (section « annotations et autres gnoses, no 7 – les réponses institutionnelles) n’est pas titrée. Afin de briser la sclérose décrite par la courbe sur le schéma précédent, il faut envisager 1) des modèles d’incitatifs à la déviance, 2) diminuer le nombre d’idées neuves réprimées par les cultures institutionnelles des différentes bibliothèques publiques et, 3) habiliter les bibliothécaires à créer des intrusions créatives dans la quotidienneté des communautés qu’ils et elles desservent. Généralement, plus les chances de récompenses sont grandes, plus l’intérêt sera grand pour embrasser la poursuite des objectifs fixés par les mesures incitatives; or, le scénario sur lequel nous tablons semble surtout réaliste dans la mesure où les chances des récompenses sont, ou du moins semblent, nettement plus importantes lorsque les 9 bibliothécaires et les autres ressources humaines des bibliothèques publiques entrent dans le moule institutionnel et que leurs idées sont cooptées ou simplement réprimées. ÉBRANLER LE CHANGEMENT INSTITUTIONNEL Des concours mensuels pourraient, par exemple, être organisés dans les différentes bibliothèques publiques afin que les ressources humaines puissent mettre de l’avant des idées ou des conceptions originales de services culturels pouvant être dispensés dans un lieu bibliothécaire : une rétribution financière pour les gagnants et gagnantes (voire l’ensemble des participants et participantes) serait déjà un pas important pour garantir un réel incitatif à « dévier » de la norme. De plus, les ozalids des projets de renouveau bibliothécaire audacieux ou de services culturels originaux pourraient demeurer une propriété conjointe des créateurs et des bibliothèques publiques où se tiennent ces concours. Relativement simple à mettre en place, une telle initiative prendrait tout son sens dans la mise en place de projets pilotes, de la permutation de ces projets pilotes entre différentes bibliothèques publiques également. Cela dit, la simple production d’ozalids de services culturels originaux renforcerait l’idée d’une bibliothèque publique en proche rapport avec la chaine de la créativité et créerait une forme de dynamisme de la création au sein des cultures institutionnelles. Dans ce contexte, encore plus que la somme des productions artistiques ou intellectuelles, voire de la somme des informations qu’il est impératif de communiquer aux prochaines générations, la culture est production de codes capables de décoder le passé, tout en mettant en perspective le présent : le bien, comme le service culturel est une production d’une génération et d’une location (d’une tempo-spatialité); la bibliothèque publique ne peut plus longtemps ignorer ce rapport à la chaine de la créativité qu’elle semble éviter de discuter afin de rester cantonnée dans son rôle de passeur de culture. L’avenir de la bibliothèque publique ne peut s’assurer mieux que par une ouverture à la production de contenus originaux : l’avenir de l’institution ne peut être mieux assuré que si l’on envisage que le capital humain des bibliothèques publiques puisse concevoir, créer et mettre en place de larges gammes de 10 services culturels variés dans nos bibliothèques publiques locales et nourrir des imaginaires franchement nouveaux à associer à ses lieux comme aux services qu’elles offrent aux collectivités. De nombreuses mesures incitatives pour palier l’habitude de la cooptation d’idées et de comportements normatifs des ressources humaines des bibliothèques publiques permettraient une forme de récompense pour l’instauration de la défiance du libéralisme au sein des différentes cultures institutionnelles des lieux bibliothécaires. Saviez-vous que si le nombre d’entrées de blogue publiées par les bibliothèques publiques était comptabilisé comme le nombre de pages magazines publiées ou le nombre de brevets enregistrés annuellement, l’indicateur serait quantifiable et pourrait servir à la fixation d’objectifs, voire à l’orientation des développements stratégiques des bibliothèques publiques, en outre, en regard de la relation avec les communautés web du monde et, plus généralement, avec le marché des idées? CONCLUSION Même si la diversité culturelle est célébrée depuis une bonne quarantaine d’années, en Amérique du Nord, les bibliothèques publiques n’ont aucunement embrassé ce type d’idéaux dans une mesure significative; à preuve, l’identité des bibliothèques publiques, tout comme l’étendue du partage d’un imaginaire collectif sclérosé, figé dans le temps, fossilisé qui la conçoit comme un lieu où l’on collectionne des documents imprimés et où l’on offre un service de prêt de ces documents imprimés. Personne pour questionner que toutes les bibliothèques publiques du monde, ou presque, aient la même identité, bien que et le pain et le beurre de l’institution se retrouvent dans son ressort culturel? Personne, plutôt, pour être dupé ni par ce principal ressort, ni par ses prétendues qualités démocratiques ou publiques: la bibliothèque publique est devenue un simple organe du gouvernement – fut-ce autrement, elle serait un véritable agent de changement social, le lieu et le sujet de moult débats, petits et grands, communautaires ou planétaires. 11 En lieu de quoi, elle demeure recluse dans une neutralité institutionnelle déclarée comme une fraude depuis le désaveu des idéaux de la modernité : soixante années de théories critiques diversifiées n'auront pas réussi à faire bouger l’institution, elle, qui continue de prétendre qu’elle exerce un pouvoir neutre, que son rôle n’a jamais été d’interagir avec les structures profondes de notre société ni, et peutêtre encore moins, avec les autres structures du gouvernement. En lieu de quoi, elle profite qu’on l’aime et la trouve essentielle pour ignorer les nouvelles théories critiques et progressives, en lieu de quoi, elle tourne son avenir vers une pérennisation aveugle qui ne songe même pas à la remettre en phase sur le marché des idées néocontemporaines. Sans doute le plus grand crime intellectuel de l’histoire récente, la construction de magnifiques édifices aux architectures postmodernes pour abriter cette pérennisation fermée aux nouvelles idées et pour qui, non seulement le bon gout bourgeois, mais aussi la définition même des bibliothèques publiques a été fixée pour de bon, au temps des dinosaures. Qui sont ces gens qui font confiance à l’institution pour embrasser de nouvelles missions, comme l’habilitation communautaire? Qui seront-ils à saluer que l’avenir de la bibliothèque publique soit assuré du simple fait de substituer le prêt du document numérique au service de prêt de documents numériques? Où sont les agentes et les agents culturels pour s’outrer du peu de valeur qu’on accorde à la qualité culturelle de l’institution?, et les acteurs communautaires, de la valeur qu’on accorde à sa qualité démocratique ou publique? QU'ILS SE MANIFESTENT!!! Où sont ces gens qui souhaitent le retour en force de la bibliothèque publique dans le giron gouvernemental comme institution culturelle et non plus comme simple organe du gouvernement? Qu’ils se manifestent : l’arène de débats publics sur l’avenir de la bibliothèque publique ne peut se passer d’eux et d’elles. ** * 12